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Carême et ramadan : une différence de perspective

Le jeûne du ramadan incarne le troisième pilier de l’islam et est de loin le devoir cultuel le plus suivi dans la religion musulmane. Durant le mois de ramadan, le croyant doit être à la recherche du pardon et du repentir. Il fait son possible pour attirer sur lui la Miséricorde Divine, à travers la pratique d’œuvres pieuses. Avec le jeûne du mois de ramadan, c’est toute la communauté des croyants de foi musulmane qui est appelée à se conformer à des préceptes, dont le plus connu est de s’abstenir de manger du lever au coucher du soleil. Le ramadan est aussi un temps de solidarité et de convivialité.

Parce qu’il comporte aussi une invitation au jeûne, le temps du carême des chrétiens est parfois identifié au ramadan. Il a des aspects similaires et des différences. La prière, le jeune et l’aumône sont des exercices spirituels que l’on s’efforce de pratiquer dans les deux religions. Outre, le fait que la manière de vivre le carême est laissée à la liberté de chacun des membres de la communauté chrétienne, c’est surtout par sa finalité que le carême se distingue le plus nettement du ramadan.

Le temps du carême prépare en effet pendant 40 jours à la joie de la fête de Pâques. Pâques célèbre la joie de la résurrection de Jésus d’entre les morts. Or, cette résurrection d’entre les morts, surprenante quoiqu’annoncée, est elle-même le signe d’un engendrement, c’est une vraie naissance. Cette dernière dimension est bien souvent ignorée de nos jours. Jésus ressuscité n’est pas revenu à la vie, il est entré dans une vie, une vie inouïe sur laquelle la mort n’a pas de pouvoir ! C’est en ce sens qu’il est « né » à une vie nouvelle. Cette annonce produit une libération, une immense libération de la peur de la mort qui conduirait seulement à la destruction définitive de tout ce que nous sommes.

Le carême prépare le fidèle à oser croire que Dieu peut rendre la vie aux morts. Il peut redonner vie aux cendres que nous sommes. Le carême commence d’ailleurs par une célébration d’imposition de cendres. C’est un signe incroyablement parlant : « tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». Autrement dit, cela signifie que tu n’as pas en toi de vie durable. « Tu n’as pas la vie » tout court, mais seulement quelque chose qui y ressemble : la vie organique, la vie qui précède la mort comme tous les êtres biologiques. La vie telle que Dieu entend nous la donner, n’est pas celle qui précède la mort, mais celle qui ne peut plus mourir. Or, c’est là assurément, la chose la plus difficile à croire.

Il est donc nécessaire pour redécouvrir que l’être humain est doué d’une autre vie que sa vie organique, une vie de l’esprit, de prendre le temps d’éprouver en nous cette vie de l’esprit. C’est le sens du carême : revenir à la vie intérieure, à l’inspiration de pensées. Il s’agit de revenir à la capacité spirituelle qui permet de penser, d’aimer et de s’ouvrir à l’autre et à Dieu lui-même. Dès lors, s’instaure une relation à Dieu d’esprit à esprit, car c’est avant tout par l’esprit qu’Il entend se communiquer et se faire connaître à sa créature humaine. Dieu peut lui inspirer des pensées. C’est pourquoi la foi chrétienne culmine dans le don de l’Esprit-Saint, l’Esprit de Dieu, à la fête de la Pentecôte qui vient éclairer l’esprit de l’homme. Dieu vient mettre ses pensées dans nos pensées. Il nous apprend à penser comme Lui pense. Le carême se présente donc comme le temps d’un réveil de la vie spirituelle. Il s’agit de s’éveiller à nouveau à la possibilité que Dieu restaure en notre esprit, une conscience nouvelle de notre véritable origine, de notre filiation divine.

Tous les attachements désordonnés qui produisent tous les maux et les vices dans l’histoire du monde ont une même cause : l’ignorance de la dignité véritable de chaque personne, l’ignorance de sa vocation à la vie divine et par-dessus tout l’illusion qu’elle possède par elle-même à sa véritable identité. Rien n’est plus tentant et dangereux que de prétendre avoir conçu le dernier mot de notre personne. Le drame de l’humanité se découvre en ce qu’elle essaye de se prouver à elle-même sa grandeur, sa dignité par le recours au pouvoir, à la puissance, à la jouissance. Or tout cela cache un vide intérieur douloureux, une inquiétude sourde et l’ignorance de notre véritable identité. C’est la restitution de cette identité qui est le sens du carême. Elle est rendue à la communauté des fidèles, pour leur joie, lors de la nuit de Pâques, dans la résurrection de Jésus. En Jésus, relevé de la mort, chacun peut entendre que sa propre mort est vaincue. Chacun entend que Dieu veut faire surgir la vie dans la mort même ! Jésus est ainsi le « premier né d’entre les morts ». Il est le fils bien aimé du Père, son enfant ! Cela signifie que toute personne trouve la paix lorsqu’elle renaît à son tour à la conscience d’être plus que l’enfant de ses parents. Si nos parents nous ont mis au monde, ils ne nous ont pas donné « la vie » au sens plein. Ils ne peuvent nous empêcher de mourir un jour. Ils ne peuvent donner ce qu’ils ne possèdent pas : cette vie qui ne finit pas parce qu’elle est « vie de Dieu, vie avec Dieu ». Dans son baptême qui l’unit à Jésus ressuscité, la personne renaît à une filiation spirituelle qui la sort d’une vision seulement charnelle de son être. Le carême prépare à l’accueil de la révélation que Dieu fait de nous ses enfants et se fait connaître comme Père céleste. Personne n’est exclu à priori de cette promesse. Elle est adressée à tous, quelle que soit notre culture, et même notre religion. Ce Dieu est le Dieu de tous, l’unique et vrai Dieu, révélé en Jésus donnant la réponse qu’au fond d’eux-mêmes tous les hommes attendent. Toute personne de notre temps, qu’elle le sache ou non, a besoin de cette annonce. Il ne s’agit pas d’une tradition culturelle particulière mais d’une vérité qui concerne de manière égale tous les hommes [1].

Le point de divergence entre le christianisme et l’islam porte précisément sur la question de la filiation de Jésus. Affirmer que Jésus, le fils de Marie, est « fils de Dieu » est inaudible pour les musulmans qui se refusent à conférer à la divinité les affres des enfantements humains. Cette lecture confirme précisément que c’est la vie de l’esprit en nous qu’il faut redécouvrir. Dieu n’est pas père, comme un père terrestre. Jésus, dans sa naissance et sa résurrection, est le signe que Dieu relie à Lui la nature humaine et l’ouvre à sa propre vie par la puissance de son Esprit-Saint. Si c’est la nature humaine qui est restaurée pour communier à la nature divine, alors, toute personne – ayant la nature humaine – peut recevoir ce message. Dieu rend à la nature humaine la capacité de vivre de la vie de son Esprit. C’est un nouvel enfantement qui ouvre sur une vie insoupçonnée, une vie qui ne peut plus mourir. Le carême dispose les cœurs à croire que Dieu ne sauve pas l’homme de la mort mais dans la mort même. Nous ne sommes plus dans l’ordre des pratiques religieuses légales à faire, mais dans l’ordre de la foi – de la confiance - en la bonté de Dieu sur toute personne. Dieu ne se résout pas à nous voir mourir et disparaître.

L’homme moderne est retombé dans l’ignorance de ce que sa vie véritable excède le cadre temporel de son existence charnelle. Le carême invite donc à croire qu’il y a plus en nous que nous ne saurions en voir. C’est pour le croire et en vivre, que les chrétiens se préparent à la fête de Pâques durant les quarante jours du carême. Cela requiert de se rendre disponible intérieurement. Cette plus grande attention spirituelle se réalise par les exercices de la prière, du jeûne et de l’aumône, mais ils n’ont pas leur fin en eux-mêmes. La finalité du carême consiste à s’ouvrir à ce que Dieu veut réaliser en chacun et pour chacun. Cela suppose d’avoir conscience de ne pas pouvoir le faire par soi-même. Cette expérience de nos limites est finalement l’arrière-fond permanent du carême. Il n’est plus question de prouver ce que nous pouvons faire pour Dieu ou pour les autres, mais de prouver ce que nous ne parvenons pas à faire. Ainsi rendu à l’humilité de notre condition, l’esprit retrouve la disposition la plus essentielle à l’accueil d’un amour sans mesure dont Dieu nous aime. Afin de bien saisir encore la différence de perspectives qu’il y a, entre ramadan et carême, concluons avec ces mots du Pape François dans son message pour le carême 2024 : « Dieu éduque son peuple pour qu’il sorte de l’esclavage et expérimente le passage de la mort à la vie. (…) Contrairement au Pharaon, Dieu ne veut pas des sujets, mais des fils ». La nouveauté inouïe qu’apporte Jésus-Christ vient de ce que toute personne est appelée à renaître à la vie nouvelle d’enfant de Dieu, donc à vivre de la vie même de Dieu et vivre pour toujours. Ce message, aujourd’hui encore, peine à se faire entendre.

Notes :

[1Benoit XVI, Verbum Domini, Exhortation post-synodale sur la Parole de Dieu, 2010, n°91, 92


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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