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La capacité poétique de l’humain

Dans une allocution le 12 février 2024, aux membres de l’Académie pontificale pour la vie, le Pape a posé la question essentielle de ce qui fait le propre de l’homme [1]. En effet, à mesure que les sociétés se transforment sous l’effet des innovations technologiques, la question d’un progrès authentiquement humain devient pressante. Jusqu’où un environnement technologique entrave-t-il ou sert-il le développement humain ?

Cela renvoie à la signification même de l’être humain et à notre compréhension de ce qui est en jeu dans la vie humaine. Le Pape a donc exprimé cette question essentielle : « comment comprendre ce qui qualifie l’être humain ? » et plus encore à quelle condition l’expérience humaine a-t-elle vraiment un sens ? Ces questions abruptes peuvent donner le vertige tant nous tenions les réponses pour acquises ou évidentes. Rien de tel.

Interroger la spécificité de la nature humaine et le sens de l’existence est pour chacun, une nécessité. Le propre de l’homme est précisément de pouvoir donner du sens à son existence. Il en a le besoin et même le devoir. Cela est nécessaire pour sortir de l’absurdité d’une vie bornée par la mort, et plus encore parce que le sens élaboré participe de la densité de la personne et concourt à son accomplissement.

Les performances techniques et la diffusion des technologies ne sont pas contraires en soi à l’expérience humaine, elles lui appartiennent. « Il faut inscrire les connaissances scientifiques et technologiques dans un horizon de signification large » écrit le Pape François « en évitant ainsi l’hégémonie technocratique » (cf. Lettre encyclique Laudato si’, 108).

Cependant, la tentative constante de reproduire l’être humain avec les moyens et la logique de la technologie cache une vision réductrice de l’être humain. Elle l’identifie à un agrégat de performances reproductibles à partir d’un langage numérique. Or, l’être humain n’est pas reproductible par une machine. Il est doué d’une capacité propre à bien saisir : la vie intérieure, que l’on pourrait aussi nommer la capacité poétique. C’est la spécificité irremplaçable de l’humain. D’une certaine manière, une personne se réalise elle-même en pensant le monde. Elle ne naît pas achevée mais s’accomplit elle-même, à partir de ce qu’elle conçoit et comprend du monde. Ultimement, la personne s’accomplit à partir de ce qu’elle fait de sa vie. C’est ainsi, dit encore le Pape, que « les êtres humains sont confrontés à leurs limites et à leur vulnérabilité et sont appelés à respecter l’altérité et à prendre soin les uns des autres ».

Nous pouvons ainsi comprendre que s’il n’y a pas de pensée dans la matière (inerte), ou dans la vie végétale et animale, il y a de l’esprit en l’homme. Par l’esprit, l’homme peut donner un sens à ce qui existe et à son existence même. Ce sens appartient à la personne. Il la constitue à un point que nous ne mesurons pas assez. Ce sens donné au monde compte aussi pour le monde.
Même si les raisons qui président à l’existence du monde excèderont toujours toute compréhension exhaustive, l’esprit de l’homme les enveloppe de sa pensée et les inscrit dans un univers de sens. L’univers en vient à être enrichi par ce que nous disons à son sujet. Il est plus que les ressources matérielles qu’il contient. En ce sens, le pape suggère qu’« il nous est demandé de discerner comment la créativité de l’homme confiée à lui-même peut être exercée de manière responsable. Il s’agit de déployer les talents reçus en évitant que l’humain ne soit défiguré et que les différences constitutives qui ordonnent le cosmos ne s’annulent (cf. Gn 1-3). »

« C’est bien à un niveau anthropologique que se situe l’enjeu clé de notre époque. Comment répondre aux besoins de l’humanité ; comment susciter une culture capable de reconnaître et de promouvoir l’humain dans sa spécificité irremplaçable, unique ? (…) Il s’agit donc d’une tâche culturelle, parce que la culture façonne et dirige les forces spontanées de la vie et des pratiques sociales. »

Disons-le sans détour, il est devenu rare aujourd’hui d’entendre un appel à ce niveau de profondeur. Pour y répondre, le Pape engage à un dialogue efficace, à un échange transdisciplinaire « plaçant et faisant fermenter toute connaissance dans l’espace de Lumière et de Vie offert par la Sagesse qui émane de la Révélation de Dieu » (n° 4c). Il s’agit « d’aller au-delà de la juxtaposition des savoirs, en initiant une réélaboration des connaissances à travers l’écoute mutuelle et la réflexion critique (…). Pour qui s’engage dans un renouvellement sérieux et évangélique de la pensée, il est indispensable de mettre aussi en question des opinions acquises et des hypothèses non examinées de manière critique. » Cette amplitude des champs de la connaissance demande également de se donner du temps, et de considérer les questions sur un temps long. (…)

L’immersion croissante de nos sociétés dans un environnement technologique ne peut se satisfaire d’une confortable délégation de tâches. Il doit permettre d’accroitre la réflexion de fond sur la signification de l’existence et son terme inéluctable. Ce terme mystérieux est un levier puissant de recherche de sens. C’est face à l’inconnu que l’homme s’humanise par l’élaboration d’un sens. L’homme apparaît vraiment dans le sens qu’il conçoit. A condition de demeurer conscient de ce qui qualifie l’être humain comme humain, sa capacité poétique, les développements technologiques que nous connaissons, peuvent participer à un authentique approfondissement de la pensée, et donc de l’humain.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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