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Quels remèdes à l’antisémitisme ?

A l’heure où la France connaît une funeste résurgence d’actes antisémites, la question de la signification même du judaïsme et de la judaïté se pose, à la fois comme identité et comme religion. Le mépris se nourrit d’ignorance et produit ses fruits de malveillance et de violence. Lutter contre le mépris revient à éclairer les intelligences et susciter dans la société des relations de considération et d’estime. Or, la société française est fragilisée par une faible considération pour les traditions spirituelles et religieuses. Quelques pages du livre du Cardinal Jean-Marc Aveline, « Dieu a tant aimé le monde », permettent de comprendre qu’avec un christianisme faiblissant en France, c’est la possibilité même de partager à tous le sens de cette identité juive qui diminue. En effet, la dette envers sa mission spirituelle s’affaiblit dans les consciences. Toute l’histoire spirituelle de la France plonge ses racines dans l’Alliance de Dieu avec son peuple Israël, dans sa fidélité envers ceux « qui marchaient dans les ténèbres » (Isaïe 9,2). Israël désigne ici la permanence d’un peuple porteur de la Promesse et non un Etat géographique. De nécessaires clarifications des notions permettent de sortir de la confusion. Ce d’autant que la judaïté et le judaïsme sont réduits à des lectures seulement socio-politiques, privées de leur ancrage spirituel. La conscience trop faible chez les Français de la signification des identités religieuses les renvoie à des logiques de concurrence et des rapports de force. Que des juifs en France pâtissent du fait de la faiblesse du christianisme est une pénible réalité à entendre. Et pourtant ! A l’heure où précisément depuis le second concile du Vatican en 1965, l’Eglise catholique et les chrétiens en France reprennent conscience que la promesse faite à Israël comme peuple de l’Alliance, s’accomplit en Jésus son Messie, c’est la France qui se découvre captive de multiples idôles, dont le libertarisme, l’hédonisme, le nihilisme et les fondamentalismes sont les formes les plus visibles. La haine des juifs se nourrit bien hélas de l’ignorance de ce que signifie ce nom, porté par grâce au bénéfice de tous. Ecoutons quelques passages du cardinal Aveline :

« Comment définir la relation entre juifs et chrétiens ? » Du côté juif, on peut se référer, entre autres, à ce que Gershom Scholem, spécialiste de la kabbale et de la mystique juive, écrit à propos de l’ouvrage majeur de Franz Rosenzweig (1886-1929), L’Étoile de la rédemption :
« Le juif est celui qui reste toujours lié à son foyer, attaché à son peuple, car le judaïsme est fondé non pas sur une terre, mais sur la permanence du peuple. Le chrétien est celui qui est toujours en route, qui n’a pas besoin de lieu de fixation en ce monde si ce n’est dans l’Église, car il est fondé sur un événement arrivé une fois pour toutes qui a ceci de propre qu’il a son origine hors du temps : aussi l’Église doit-elle revenir à lui sans cesse comme à sa source. Le juif et le chrétien se tiennent devant Dieu. [...] L’un comme l’autre a part à l’unique vérité » [1].

Le véritable enjeu, qui concerne tout autant le juif que le chrétien, ne se limite pas à une meilleure connaissance mutuelle, aussi importante soit-elle. Il s’étend à la perception par chacun de la vocation qui est la sienne et dont il découvre peu à peu qu’il ne peut la comprendre qu’en acceptant de l’avoir reçue sans exclusive car elle lui a été donnée pour qu’il la mette en partage. La reconnaissance, alors, est double : on reconnaît à l’autre son altérité, on apprend de l’autre sa propre identité. « L’essence de la vérité est d’être en partage », insiste Franz Rosenzweig à la fin de son Étoile.

(…) Pour demeurer fidèle à cette alliance, le peuple juif a dû développer, au long de son histoire, un sens aigu de sa différence, source de tribulations sans nombre, mais aussi d’une force de vie et d’une capacité de résistance étonnantes. Non seulement il fut le seul peuple dont le dieu ne put être assimilé par les Césars dans leur panthéon romain, mais il constitua ensuite le seul témoin intérieur de l’altérité religieuse au sein d’une chrétienté régulièrement tentée de l’éradiquer. Et lorsque disparut cette chrétienté au profit d’une modernité naissante, le peuple juif qui vivait en Europe, sortant peu à peu du ghetto qui l’avait à la fois exclu et protégé, devint le promoteur des idées nouvelles d’émancipation qui suscitèrent les Lumières, puis le veilleur inquiet de son identité face à cette autre forme de domination qu’est l’assimilation lorsque celle-ci, sous couvert de tolérance, vise à laminer violemment les particularités dans un universalisme abstrait. Hannah Arendt, en perspicace historienne de l’antisémitisme, raconte comment, dans les salons parisiens de la fin du XIXe siècle, on accueillait courtoisement certains Juifs cultivés en leur faisant cet étonnant compliment qu’on ne remarquait plus du tout leur origine ! (…)
L’interpellation réciproque entre juifs et chrétiens est sans doute l’une des clés les plus utiles pour ouvrir à une intelligence renouvelée de la mission de l’Église. Parce qu’elle empêche chacune des deux traditions, juive et chrétienne, de décliner son identité sans y inclure cette rémanente altérité, soit en tant que fruit plus ou moins reconnu, soit en tant que racine plus ou moins assumée, cette relation essentielle constitue un fondement pour toute recherche théologique sur la mission de l’Église.

(…) Maintenant, nous comprenons mieux qu’elle ne peut s’interpréter elle-même sans évaluer son lien avec la mission d’Israël. C’est ensemble que le juif et le chrétien travaillent à l’accomplissement de la promesse faite à Abraham en faveur de l’unique famille humaine. Dans son ouvrage précisément intitulé La Promesse, le cardinal Lustiger explique ainsi les enjeux de cette relation :
« Si la discussion s’instaure dans la confiance et la familiarité entre les hommes de foi et de réflexion, quelle richesse ce peut être pour la pensée chrétienne d’accueillir l’Élection d’Israël comme une donnée fondamentale de l’histoire humaine et de sa propre vocation ! Pour peu qu’une compréhension mutuelle s’établisse entre juifs et chrétiens, leur commune vision de l’histoire biblique peut inaugurer une intelligence plus avisée des diverses formes et cultures religieuses. [...] L’avenir commun entre juifs et catholiques ne se réduit pas à limiter le contentieux possible. Il ne peut se contenter d’une pacifique compréhension mutuelle, ni même d’une solidarité dans le service de l’humanité. Cet avenir demande un travail sur ce qui est commun comme sur ce qui sépare. Que les différences et les tensions deviennent un stimulant pour un approfondissement toujours plus attentif et docile au mystère dont l’histoire nous constitue les héritiers en indivis. La rencontre des juifs et des chrétiens est au service de l’humanité, source d’inspiration pour la paix et la bénédiction de tous [2] ».
Gageons donc, avec le cardinal Jean-Marc Aveline, que les Français, qu’ils soient athées ou de confessions musulmanes, pourront entrer dans le partage de cette intelligence de l’histoire biblique pour mieux se comprendre eux-mêmes à la lumière de ceux qui les ont précédés dans l’histoire du Salut que Dieu accomplit dans son amour pour l’humanité, car « Dieu a tant aimé le monde ».

Notes :

[1Gershom SCHOLEM, « Franz Rosenzweig et son livre "L’Étoile de la rédemption" », dans Olivier MONGIN, Jacques ROLLAND, Alexandre DERCZANSKI, Franz Rosenzweig, Paris, Les Cahiers de La nuit surveillée, n° 1, 1982, p. 35.

[2Jean-Marie LUSTIGER, La Promesse, Paris, Parole et Silence, 2002, p. 217-218


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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