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Charles de Foucauld et la vie véritable

Il y a des paroles que notre esprit et notre coeur répugnent à écouter. Nous n’aimons pas que les êtres chers nous parlent du jour où ils ne seront plus là, en somme de leur mort. « C’est pour peu de temps que je suis encore avec vous » a dit Jésus un jour à ses disciples. Voilà typiquement une parole qu’ils n’ont pas dû apprécier. Jésus évoque pourtant son départ, c’est-à-dire sa mort. Ils ne l’ont sans doute pas compris. En effet, pour en montrer le dépassement, il fallait commencer par l’assumer. Le compte à rebours du temps est engagé pour chacun de nous. Oui, chaque jour qui passe est un jour de moins à vivre et nous rapproche du terme. Mais nous refusons de l’entendre. Cette parole vient heurter en nous la certitude que nous sommes nés non pour mourir mais pour vivre.

Le problème vient de ce que nous confondons souvent la vie avec le temps qui passe. Nous sommes à peu près tous convaincus que nous avons la vie, parce que notre cœur palpite. Mais non justement ! C’est toute la force du Christianisme de renverser les perspectives. Nous ne sommes vivants que lorsque notre cœur est ouvert à l’amour dont Dieu nous aime. Alors oui vraiment nous sommes vivants, et vivants pour toujours, même si nous devons mourir un jour à cette vie temporelle. Toute la difficulté que rencontre le Christianisme aujourd’hui porte sur la confusion entre la vie et le temps. Il peine de plus en plus à faire entendre que la vie humaine telle que nous la connaissons, la vie organique, n’est pas encore le sommet de la vie à laquelle l’être humain est destiné. Aucun d’entre nous n’est né pour quelques années seulement et pour mourir un jour. Beaucoup le croient de nos jours. La proposition chrétienne ose affirmer que nous ne sommes encore « vraiment » ou « réellement » nés. En effet nous sommes tous nés pour entrer dans la vie ! Or, « la vie c’est qu’il te connaisse » dit Jésus en parlant de son Père. La foi chrétienne affirme qu’en la personne de Jésus est venue la vie véritable. Il est venu faire connaitre à l’humanité la condition de la vie réelle. Le but de la vie terrestre consisterait dès lors à parvenir enfin à concevoir la vérité de l’amour qui nous a conçus ! Tant que nous n’avons pas accueilli en nous l’amour qui le premier nous a voulu, nous n’avons pas encore la vie en nous ! Nous demeurons dans une ignorance mortelle. Il faut de l’audace et du courage aujourd’hui pour tenir une chose pareille. Cela vous expose à des incompréhensions, des méchancetés parfois, des moqueries souvent.
Osons le dire : cette vie, la mienne la vôtre va s’arrêter. Mais notre vie commence de plus en plus à mesure que nous nous ouvrons à l’amour du Père pour nous ! Et c’est pour cela que les chrétiens se réunissent ! C’est pour annoncer cela que Charles de Foucauld s’est engagé sans mesure au service des plus pauvres de ses frères et soeurs. Il avait compris que Jésus ayant donné sa vie, avait assumé la mort pour révéler la Vie qui nous vient de l’amour du Père. Charles de Foucauld est né à la vie qui ne finit pas, le jour où en l’église parisienne de Saint Augustin, il s’est ouvert à la tendresse du Père pour lui ! Lui le lieutenant noceur qui n’a plus cessé ensuite de vivre son existence en rapport au Père, pour que les hommes connaissent l’amour dont ils sont aimés, pour qu’ils connaissent Jésus, qui est cet amour même ! Il accomplit dans son existence ce que Montaigne (1533-1592) avait dit avec audace : « tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant. » Lui, Charles de Foucauld est mort plein de la vie qui le portait vers ses frères Touaregs, il est mort non de maladie, ni même de cette balle perdue par un tir, mais il est mort de ce dont il était plein : de la vie et de l’amour du Christ. Il demeure vivant par cet amour. C’est le sens même de la célébration de canonisation présidée par le Pape François à Rome le 15 mai 2022.

La mort nous prive seulement d’un état du corps pour nous disposer à accéder à un autre état du corps, l’état de ressuscité sur lequel la mort, la souffrance n’ont plus de pouvoir. Ce que je viens de dire, est ce qui justifie toutes les chapelles et les cathédrales du monde : elles sont le signe visible de la révolution chrétienne, de l’espérance qui désormais existe dans le cœur des hommes, dans le cœur des disciples du Christ.

La foi en Jésus se transmet seulement de personne à personne. Elle se diffuse seulement parce qu’elle transforme une vie qui peut à son tour en transformer une autre. La vie de Charles de Foucauld a été transformée et elle a aussi transformé tant de vies. Aujourd’hui seules des vies transformées par l’amour pourront transformer le monde. C’est le rôle des chrétiens, leur responsabilité de rappeler envers et contre tout, ce commandement de Jésus : « aimez-vous les uns les autres ». C’est le rôle des évêques et avec eux de tous les chrétiens de vivre le commandement que Jésus a donné à ses disciples : « comme je vous ai aimés, en vous donnant ma vie, vous aussi aimez-vous les uns les autres. A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples. »

Je sais bien que nos vies – et la mienne d’abord - ne sont pas assez saisies par l’amour du Christ pour transformer le monde ; je sais bien que c’est précisément la faiblesse du témoignage de l’Eglise qui marginalise sa Parole ; je sais bien que c’est l’amour du monde au dépend de Dieu et non l’amour de Dieu au dépend de soi, qui empêche la cité sainte de paraître, celle dont parle le livre de l’Apocalypse, citée sainte toute parée pour son époux.

La magnifique vision du livre de l’Apocalypse, « Moi, Jean j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle », consiste en une succession d’images, qu’il faut décoder pour comprendre le sens de la vision. Quelque chose de nouveau, de joyeux va paraître. Le premier ciel et la première terre s’en étaient allés, car ce monde-ci ne dure pas. Il n’est pas fait pour durer, bien que sa durée propre excède de beaucoup la durée de notre propre passage sur terre. La mer a disparu. Que signifie sa disparition ? De quoi la mer est-elle le signe ? La mer symbolise dans la Bible, la vie psychique de l’homme ; la mer est ce en quoi nous pouvons nous noyer, comme nous pouvons nous noyer dans l’océan de nos pensées. Si la mer a disparu, cela veut dire qu’il n’y a plus d’hésitation possible. Tout est clair désormais dans l’esprit de l’homme. Il peut voir et concevoir ce que contient le ciel et que nous ne pouvions pas voir : la cité sainte apparaît alors. Elle symbolise la présence de Dieu au milieu des hommes, l’amour qui réunit. Ainsi est révélé que lorsque Dieu prend place en l’homme, ils réalisent ensemble la cité céleste où l’amour unit. Là, tous les hommes se reconnaitront frères et sœurs d’un même Père. Charles de Foucauld a voulu réaliser dans sa vie, quelque chose de cette cité en se faisant le petit frère universel. Dieu sait combien notre monde a besoin de paix, d’unité et donc de fraternité.

« Ne craignez pas que votre vie prenne fin, craignez plutôt qu’elle n’ait jamais de commencement. » disait le Cardinal Newman pour terminer avec ce genre de parole que nous n’aimons pas entendre parce qu’elle nous bouscule. Là où est l’Amour là est la gloire de Dieu, là est la Cité sainte, là est la vie véritable.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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