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Crimes et abus sexuels dans l’Eglise : la vérité rien que la vérité

Le rapport présenté par Jean-Marc Sauvé, président de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuel dans l’Eglise (CIASE) devait faire la vérité. Et la vérité est apparue !

Cette vérité que les évêques et tant de fidèles ne voulaient pas voir ni ne voulaient croire.

Cette vérité tragique tient en une phrase lapidaire : l’Eglise a été un réservoir de pédophiles criminels pendant 70 ans ! Les religieux coupables se comptent par milliers et leurs victimes se comptent par dizaines sinon centaines de milliers ! Leur vie religieuse a été l’occasion de vivre leur déviance et l’institution l’a cachée. C’est la fin de l’hypocrisie, la fin de l’illusion.

Le mal de la perversité de personnes ayant fait le choix d’une vie consacrée, prêtre, moine, religieux, religieuse, est terrifiant. Les victimes sont tous des enfants. L’institution n’a pas traité les agissements criminels comme ils auraient dû l’être lorsqu’ils ont été portés à la connaissance des autorités ecclésiastiques. Elle aura très gravement failli à la fois dans la vérité sur la nature des crimes, dans la reconnaissance des victimes et dans le soin qui leur était dû. Où étaient passés le devoir de vérité et le devoir de justice ? La capacité pour les prédateurs sexuels, d’agresser dans la durée a été rendue possible par l’odieuse culture du secret dans l’Eglise. Le choix du silence, pour préserver la réputation de l’institution, a prévalu, permettant aux coupables de faire de nouvelles victimes. Le rapport met en lumière dès les premiers mots du président Jean-Marc Sauvé, « le déni et l’euphémisation des abus, la culture du secret et du silence, la peur du scandale – cette notion étant dévoyée en protection de l’institution, alors que le scandale réside, aux termes mêmes de l’Évangile, dans l’atteinte portée aux enfants –, tous ces traits caractéristiques d’une certaine culture au sein de l’Église catholique ont retardé la prise de conscience de la gravité du mal et l’édiction de mesures appropriées pour prévenir ces crimes, punir leurs auteurs et réparer le mal fait. »

Cette gestion désastreuse de l’épiscopat face à ces crimes fait que les pasteurs de l’Eglise ont honte, honte de ce silence coupable. Et Mgr Eric de Moulins-Beaufort l’affirmait « le refus de voir, le refus d’entendre, la volonté de cacher ou de masquer les faits, la réticence à les dénoncer publiquement » furent les attitudes « des autorités ecclésiales, des prêtres et des acteurs pastoraux ».

Il révèle combien la structure même de l’Eglise a pu participer à rendre invisibles les abus. La totale souveraineté d’un évêque sur son diocèse (territoire) sans contre-pouvoir, lui permettait d’en minimiser la réalité, de traiter « en famille » les délits ou les crimes, dont l’écho resterait limité à des rumeurs. L’ère des rumeurs est terminée et le coup de tonnerre vient déchirer le voile des apparences.

D’une manière plus générale, le rapport met en question la cohérence, et ainsi la crédibilité de l’Eglise, institution qui donne des leçons de morale, tandis qu’elle est incapable d’assurer la protection de mineurs qui lui sont confiés. La vie sexuelle du clergé est mise en question. Plus largement, il s’agit pour Jean-Marc Sauvé d’interroger la relation de l’institution avec la sexualité. Les déviances pédophiles, les doubles vies, les abandons de ministères entrent au rang des échecs de la vie religieuse pour des motifs affectifs et sexuels.
Comment l’institution peut-elle faire face ? Le rapport établit un constat désolant : l’Eglise comme institution n’a pas les moyens, en l’état actuel de son organisation, d’assurer qu’elle est une « maison sûre ». En le présentant à la presse, ses auteurs ont insisté sur le « mode de domination masculine » qui prévaut dans l’organisation de l’Eglise et qui, d’après les études sociologiques, est un facteur de facilitation des abus sexuels. Le célibat, qui impressionne beaucoup et appelle l’attention du monde extérieur, serait-il un facteur criminogène dans la vie interne de l’Eglise ?

Tout en soulignant les défaillances particulières de l’Eglise, le rapport Sauvé décrit l’ampleur de la pédocriminalité dans toute la société. Comment une société peut-elle attenter à l’intégrité de 10% de sa jeunesse ? De quel mal, tant d’enfants innocents doivent-ils être les victimes expiatoires ? D’où vient l’incapacité totale à entrer en empathie avec les jeunes victimes ? Si le texte de la CIASE met en rapport les crimes pédophiles dans l’Eglise avec la société française elle-même rongée par des abus sexuels sur sa propre jeunesse, il pose la question plus générale de la vie sexuelle de son clergé et de la résonance pathologique du célibat pour certains religieux, que beaucoup jugeront hypocrites. L’Eglise a contre elle d’avoir des dispositions très « édifiantes » au dehors (le célibat et la continence) qui peuvent se révéler criminogènes au-dedans. Le renoncement à la vie affective et sexuelle n’est pas accessible à tous. Cette vie de solitude, si incompréhensible pour le commun, jouit d’une aura supérieure dans l’Eglise. Ce préjugé interprétatif est dangereux. Il repose sur un apriori douteux : sexe et sainteté ne seraient pas compatibles. Corruptio optimi pessima, « la corruption du meilleur engendre le pire » dit le proverbe. Pour le pire nous en sommes sûrs, pour le meilleur, c’est encore à prouver. La permanence du célibat dans l’histoire du clergé et la chasteté des personnes consacrées dans la vie religieuse ont bien créé un espace où des pervers ont pu trouver un refuge très opportun. Le célibat n’est pas en en lui-même la cause des déviances, mais dans l’Eglise, il est principalement ce qui rend invisible le criminel. Il emporte une présomption d’impeccabilité. Un dangereux mirage que personne ne veut dissiper.

La médiatisation du rapport fait inévitablement porter le soupçon sur tous les prêtres et religieux. Les coupables représentent moins de 3% de prêtres, religieux, religieuses. Ils ne doivent pas cacher ceux qui s’efforcent de répondre avec fidélité de leur vocation religieuse. Mais comment cette immense majorité peut-elle servir une institution qui s’accommode du traitement des déviants, au point de les soustraire à la justice et à la vérité ?
« Le travail de purification nécessaire doit être poursuivi sans relâche » disait Mgr de Moulins-Beaufort. Comment le sera-t-il sans une transformation profonde des modes de gouvernance ? Il faut revoir la « manière de comprendre et de présenter le ministère sacerdotal, celui des évêques et celui des prêtres » disait Mgr de Moulins-Beaufort. Il faudra surtout revoir la manière de le vivre ! Le régime d’obéissance interne à la structure de l’Eglise rend impossible la critique interne et inhibe la contestation. C’est toute la structure d’autorité et de gouvernance qu’il convient de refonder, la circulation de l’information et l’instauration de mécanismes de contrôle qu’il convient de repenser.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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