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Information virale et communication vitale

Dominique Wolton

De son propre aveu, Dominique Wolton aura passé sa vie à tenter de revaloriser le concept de communication qui est essentiel pour notre vie. En effet, la communication est une relation, tandis que l’information est un message. L’information peut devenir virale en se transmettant de personne à personne, mais seule la communication est relationnelle et procède d’un échange. En ce sens, la communication est vitale, car sans relation l’être humain ne peut pas vivre.

L’expérience a montré combien la véritable communication est difficile. Écouter et parler, s’écouter mutuellement et se répondre cordialement suppose une éducation et repose sur un apriori que l’interlocuteur participe de mon propre enrichissement. Nos sociétés pensent pouvoir s’affranchir de l’effort qu’exige la communication, au moyen d’outils techniques de diffusion d’informations. On confond alors la diffusion d’informations à la relation de communication. Ce n’est pas parce que les gens sont plus informés qu’ils communiquent mieux. Les nouveaux outils dits « de communication » ne sont-ils pas d’abord conçus comme de puissants émetteurs d’informations ? L’information sur soi, afin de parler de soi et de faire parler de soi ne peut prétendre au statut de communication. Par ailleurs, les outils numériques filtrent et conditionnent les informations qui nous parviennent. Quelle communication est possible si notre écoute est conditionnée par de l’information présélectionnée ? Hors de portée de voix et de vue, la relation à l’autre est altérée et l’échange de signaux numériques ne répond pas aux exigences de la communication.
Par ailleurs, la puissance de la « communication technique » a progressivement fait apparaître un pouvoir de manipulation, un pouvoir sur les représentations que l’on nomme communément « l’influence ». Paradoxalement avec l’arrivée d’internet, nous avons dévalorisé la communication authentique, c’est-à-dire les relations et les échanges, et survalorisé l’information. La diffusion massive d’informations va influer sur l’imaginaire commun, créé par des impressions et non plus par des conversions. L’efficacité des outils techniques sur nos représentations n’a rien de comparable avec la fécondité, délicate et lente, de nos conversations.
Cette fécondité de la communication vient de ce qu’en communiquant, l’être humain se communique lui-même dans des relations de visage à visage. Il reçoit dans la présence des autres, un aliment très particulier, que nous appelons l’affection et l’amour. Il ne peut se contenter d’informations, de messages, d’images fussent-elles en temps réel. L’être humain ne se développe vraiment qu’en s’inscrivant dans un jeu de relations, d’interactions verbales, de raisonnement, de dialogue, de toucher. Voir donne à penser, parler donne à voir. Tout cela créé le seul environnement viable : la confiance.
« L’être humain est fait pour entrer en relation de communication » explique Dominique Wolton. Or, c’est souvent l’échec et l’in-communication qui dominent. Il s’en suit l’effort de négocier en vue d’éviter l’a-communication, qui serait l’impossibilité totale de communiquer, c’est-à-dire la guerre, les ruptures... »
Si la confiance fait défaut, la saturation d’information emporte un autre effet désastreux : la peur. Les réseaux sociaux comme les chaînes d’information sont des canaux d’informations qui n’offrent aucune hiérarchie d’information. Chacun peut dire ce qu’il veut. « Là où existe une réglementation et des sanctions pour la presse écrite, la radio, la télévision, le théâtre, le cinéma, il n’y a aucune règle en ce qui concerne les réseaux. Ils offrent une illusion de la liberté d’expression, alors qu’il ne s’agit que d’une licence d’expression. C’est une forme de perversité » constate encore Dominique Wolton.

A quoi nous pouvons ajouter que la liberté est normalement finalisée par la vérité, c’est-à-dire par le cheminement permettant la découverte de la vérité. Au lieu de cela, la licence d’expression sans frein sur les réseaux sociaux se désintéresse d’une responsabilité envers la vérité. C’est précisément l’objet du film de Laurent Cantet, intitulé « Arthur Rambo ». En s’inspirant de l’affaire du chroniqueur Mehdi Meklat, qui en 2017, tout en connaissant un succès éditorial, se révélait l’auteur de tweets injurieux, racistes, misogynes et homophobes sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, le film interroge le pouvoir d’influence des réseaux sociaux. « Il interroge le manque de réflexion, la responsabilité des auteurs, et aussi une espèce de responsabilité collective » expliquait Laurent Cantet.
Dès lors, si tout le monde s’exprime, qui écoute ? Et si on y exprime n’importe quoi, quelles sont les conséquences pour la vie sociale ? Si tout le monde raconte sa vie comment ne pas finir par s’en distancer, et même s’en moquer ? N’est-ce pas courir le risque d’une pathologie sociale que de négliger à ce point la valeur des paroles ? Nous sommes effectivement dans une sorte de schizophrénie individuelle et collective. Il sera nécessaire d’instaurer une hiérarchie dans l’information afin de pouvoir passer à nouveau de l’information à la connaissance et à la culture.
Un dicton rappelle que « si les poissons vivent dans l’eau, les humains vivent dans la vérité ». Ils ne peuvent vivre dans un climat où l’atmosphère serait saturée de mensonges, où la vérité serait impossible à saisir. Chacun est habité par le présupposé qu’il est dans le vrai. Et s’il nous apparaît que nous nous sommes trompés, nous nous corrigeons pour rester dans le vrai. Ainsi, c’est toujours la quête de la vérité qui dirige notre vie. C’est encore pour sortir de l’erreur, de l’ignorance et de ses conséquences que nous pensons. Or aujourd’hui, cette nécessité n’existe plus. Ce n’est plus un fait vrai qui suscite l’information, mais l’information même inepte qui devient un fait. Le seul fait de s’exprimer sur les réseaux ou sur les chaines d’information emporte un indice de vérité, la vérité du clash, de l’émotion, du ressenti ... Cette logique s’affranchit du besoin de comprendre, du temps nécessaire pour assimiler les paroles. La vie sociale est submergée par un tsunami de messages. Un tsunami angoissant qui nourrit des réactions émotives, et finalement des réactions de dépit qui nourrissent le populisme.
Dans son interview au Monde en octobre 2021, Maria Ressa [1], journaliste philippine, co-lauréate du Prix Nobel de la paix 2021 regrette « une distribution du mensonge par la puissance de l’algorithme, une manipulation insidieuse de l’attention humaine, de nos émotions, pour créer des réalités alternatives, qui font que nous nous entre-déchirons ». Dans son ouvrage « Penser la communication », Dominique Wolton rappelait l’importance de revenir à la dimension constitutive de la communication pour l’humanité :
« Comment sauver la dimension humaniste de la communication quand triomphe sa dimension instrumentale [2] ? Quel rapport y a-t-il entre l’idéal de la communication, qui traverse les âges et les civilisations au point de faire de celle-ci l’un des symboles les plus forts de l’humanité, et les intérêts et les idéologies du même nom ? (…) Il y a un obstacle : personne n’est extérieur à la communication, personne n’a de distance à son égard. Chacun est partie prenante de la communication ; elle n’est jamais un objet neutre, extérieur à soi. ».
Pour conclure, il nous revient de rappeler que si l’information est virale, seule la communication et vitale. Toute communication féconde implique une communication de soi. En ce sens, il est contraire au bien physique et psychique de l’être humain, de ne pas être dans sa parole, de ne pas être dans ce qu’on dit. La saveur des paroles est toujours la saveur d’une présence qui se donne, que l’on va croire sur parole pour continuer à avancer dans la vie. A la racine du développement humain, se trouve le pouvoir irremplaçable d’une présence qui se donne, d’une parole qui fortifie la confiance. Le nouveau contexte de l’information nous engage tous à repenser méticuleusement ce que nous écoutons et ceux à qui nous accordons notre confiance.

 Le Grand Témoin 7h30 – Émission du 3 février 2022 : Dominique Wolton, directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS, fondateur de la revue internationale Hermès, auteur de Informer n’est pas communiquer (Cnrs éditions) – Radio Notre Dame


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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