Les plateformes numériques exploitent l’attention des utilisateurs. C’est la ressource principale monétisée via des publicités ou la recommandation de contenus ciblés. Si la captation de l’attention n’est pas neuve, l’omniprésence des smartphones et des réseaux sociaux a propulsé cette logique à un niveau inédit. En moyenne, le smartphone est consulté 85 fois par jour, et certains le déverrouillent plus de 200 fois quotidiennement. "Le smartphone n’est pas seulement un médiateur confortable du réel, il devient notre point de vue, notre cadrage, la focale qui construit notre vision des choses" [1].
Selon un rapport de la Direction générale du Trésor [2], l’économie de l’attention coûte déjà environ 0,6 point de PIB à court terme, principalement via la perte de temps productif et les atteintes à la santé mentale. Le temps passé sur smartphone entraîne des micro-interruptions fréquentes au travail qui pénalisent la concentration. En conséquence, des pauses successives et les erreurs de reprise ralentissent considérablement la productivité. Des recherches montrent que la simple présence d’un smartphone sur une table, sans être consulté, suffit à détourner l’attention.
Les réseaux sociaux ont un impact sur la vie sociale, le développement cognitif et la santé mentale des enfants. Une exposition intense aux écrans dès le plus jeune âge nuit à l’attention, à la mémoire, au langage et à la créativité. Le rapport « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu » [3], commandé par l’Élysée en 2024, alertait sur ces effets et recommande de limiter l’accès aux écrans : aucun avant 3 ans, accès restreint aux réseaux sociaux avant 13–15 ans, interdiction dans les crèches et les maternelles. La surexposition est également liée à la sédentarité, à l’obésité infantile et l’isolement social.
La présentation du rapport d’enquête de la commission parlementaire le 11 septembre 2025, sur les « Effets psychologiques de TikTok sur les mineurs » [4] est sans appel : cette plateforme expose en toute connaissance de cause les enfants à des contenus toxiques, dangereux, addictifs. Même après un usage initialement raisonnable, cela peut très rapidement glisser vers une consommation excessive, problématique et finalement dangereuse. L’algorithme de recommandation de TikTok est conçu afin que soient mis en avant sur la plateforme les contenus les plus extrêmes et radicaux, toujours dans un souci de captation maximale de l’attention de l’utilisateur. Un délit de négligence numérique pourrait venir sanctionner les manquements graves de certains parents à leurs obligations de protection de la santé et de la sécurité de leurs enfants face aux outils numériques.
« ll n’est pas exagéré d’affirmer à ce stade que les réseaux sociaux ont intérêt à entretenir une forme de dépendance chez leurs utilisateurs, non comme une fin en soi, mais comme un levier pour maximiser leurs revenus. Mme Océane Herrero, journaliste, avait évoqué lors de son audition, une étude interne à TikTok datant de 2019, selon laquelle « le visionnage de 260 vidéos est nécessaire pour que l’utilisateur développe une habitude de consommation », soit une forme de dépendance à la plateforme. Afin d’accroître le temps passé sur les réseaux sociaux, ceux-ci recourent en effet à des dispositifs « captologiques », qui ne sont pas sans conséquence, « que ce soit pour l’état cognitif et psychique de l’utilisateur, pour ses relations sociales ou pour l’attention qu’il porte plus largement à son environnement : en effet, les ressources psychiques sont limitées et les individus ne peuvent pas allouer une attention infinie à tout. »
Le modèle économique des réseaux sociaux, et en particulier celui de TikTok, joue donc un rôle déterminant dans leur conception addictive et dans la mise en avant de certains contenus destinés à retenir les utilisateurs le plus longtemps possible sur la plateforme. C’est le constat que faisait Bruno Patino : « dans le modèle de l’attention, les messages sont organisés de façon à maximiser les revenus publicitaires. Ils sont classés selon leur efficience économique. L’objectif est que vous les regardiez, même si vous êtes occupés à autre chose, et que vous les partagiez le plus rapidement possible. L’un des principaux leviers est l’émotion, mais pas n’importe laquelle. La joie ou le rire ne provoquent pas autant de viralité que la colère ou la rage ».
Il est en effet évident qu’au regard de son modèle d’affaires, TikTok n’a pas pour premier intérêt la prise en compte du bien-être de ses utilisateurs, comme l’expliquait le Dr Servane Mouton, neurologue et neurophysiologiste : « la motivation première de TikTok n’est pas le bien-être de ses utilisateurs, elle a pour finalité unique le profit. La plateforme a développé un modèle économique extrêmement lucratif basé sur de nombreux systèmes publicitaires ».
L’usage excessif du smartphone est associé à une hausse de 28 % des troubles de l’humeur (stress, anxiété…). En France, ces troubles coûtaient déjà environ 17 Md€ par an en 2010, avant la massification du smartphone. Les contenus véhiculés en paroles et en images (infobésité, toxicité) et l’hyper-connexion provoquent des troubles et des pathologies. 
La régulation, portée par un projet politique, pourrait s’appuyer sur la limitation d’accès des jeunes aux réseaux, la promotion de temps de concentration protégés, et la responsabilisation des plateformes sur leur modèle de conception.
Dans sa responsabilité à l’égard du bien-être des personnes et de l’équilibre des sociétés, l’Eglise catholique ne peut ignorer le caractère intrusif, injonctif et addictif des technologies numériques et ses effets sur la santé.
Jamais il n’y aura eu autant de messages, de vitesse, de flux d’informations et dans le même temps c’est une intolérance mondiale qui monte… La révolution de la communication est un carburant de division. « Quand la connaissance n’est pas au service de la liberté, elle asservit et infantilise. A quoi sert alors une telle prolifération d’images ? Comment apprendre à vivre avec ? Comment parvenir à maîtriser cette surabondance de sensations qui est désormais notre univers ? Il y a trop d’informations » disait, déjà, le Cardinal Jean-Marie Lustiger [5].
Notes :
[1] Pierre-Marc de Biasi, Chercheur au CNRS, Le troisième cerveau. Petite phénoménologie du smartphone, septembre 2018, éd. CNRS
[2] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2025/09/04/l-economie-de-l-attention-a-l-ere-du-numerique
[4] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/effets-psychologiques-de-tiktok-sur-les-mineurs-presentation-du-rapport-d-enquete
[5] Interview Cardinal Lustiger, Télérama, 27 février 1991, n°2146



