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L’information, arme et otage de guerre

A l’heure de la mondialisation et de l’interdépendance des Etats, toute guerre où qu’elle soit dans le monde, aura des effets à l’échelle mondiale. Effets économiques et politiques assurément, mais aussi des effets sur l’information. En effet, l’information se propage sur tous les continents en même temps qu’elle devient une arme destinée à saisir les esprits. L’information est à la fois l’arme et l’otage de la guerre. Bien que locale au plan des combats terrestres, la guerre est devenue mondiale car les technologies numériques ont impliqué psychologiquement toutes les personnes qui recevaient des informations. La guerre de l’information a pour objet de conquête, non les champs et les villes, les ponts et les routes, mais les esprits. Elle use des écrans et abuse des images et des messages. Tant d’informations émanant d’acteurs ou d’observateurs du conflit, connus ou inconnus, fiables ou malveillants, remontent sans discontinuer de sorte qu’il est possible de le suivre en temps réel. L’outrance des propos, la mauvaise foi et les mensonges prolifèrent. Dès lors, cette guerre de l’information a lieu aussi chez nous et probablement plus encore en nous.

Tandis que la Chine censure l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la production d’images et de vidéos transmises sur les réseaux sociaux alimente les grands médias traditionnels et rejoignent alors tous les foyers du monde. Comme une onde invincible faite d’images aussi impressionnantes qu’invérifiables, elle vient détruire les rêves de paix de l’humanité. La bataille de l’information a pour ambition décisive de gagner la confiance, de conserver l’espoir, d’unir ou de désunir. La bataille de l’information veut infliger une défaite au moral des troupes de l’adversaire et à ses soutiens. La vie psychique des populations est bien un but de guerre. La vérité s’évanouit dans les stratégies de communication. Or rien n’est plus nécessaire à l’esprit humain que la vérité. Elle est semblable à l’oxygène, si bien que celui qui la blesse, asphyxie l’homme. « Une fois la vérité retirée à l’homme, il est réellement illusoire de prétendre le rendre libre. Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble. [1] »

La chaîne d’influence russe, Russia Today (RT) se trouve priver de diffusion en Europe. Le débat s’est ouvert entre la liberté d’expression et la lutte contre la désinformation. Il fut cependant très vite tranché pour des raisons qu’il est nécessaire d’expliquer. En effet, les outils d’informations ne sont plus seulement des moyens d’informer mais des armes de guerres. Ils sont devenus de moyens si puissants de manipulation de l’opinion qu’il n’est plus ici question de liberté mais de soumission à une emprise à laquelle il devient impossible d’échapper. Comme un poison qui se diffuse dans les esprits, la liberté ne peut être captive d’une industrie de la guerre de l’information. Les paroles toxiques se diffusent à une échelle industrielle et chacun porte la responsabilité de ce qu’il entend et de ce qu’il répend. « Les mots qu’articule ma bouche remplissent une fonction conservatrice. Ma parole est un agent de préservation de ce qu’on appelle si justement le « patrimoine mondial naturel et culturel  » [2].

Sylvain Fort, conseil en communication était l’invité d’une émission télévisée [3] sur le thème « La guerre à quel prix ? » Il expliqua de manière limpide les raisons d’un contrôle des sources d’informations en temps de guerre. « La liberté d’expression a dominé (dans nos pays européens) mais en bénéficiant chez nous d’une passivité et d’une naïveté absolument énormes ; et pendant ce temps on dormait. Ce qui me frappe c’est l’énorme retard que nous avons dans la prise de conscience de cette situation ; (…) Nous sommes dans un univers qui a complètement basculé. C’est-à-dire qu’aujourd’hui la question de la désinformation qui, certes, est dans l’agenda politique n’est plus une question qui est corrélée à la liberté d’expression. La liberté d’expression aujourd’hui est sur la défensive par rapport à la désinformation. (…) La démultiplication mondiale des outils de désinformation, le fait que cette désinformation passe par des médias, passe par des réseaux, passe par des personnalités, des porte-paroles, a fait de ça une arme de destruction massive de l’esprit démocratique. (…) La liberté d’expression ça se décrète mais ça se protège. (…) La désinformation, c’est quand l’éthique journalistique est abolie et prend le visage du journalisme. Nous avons en démocratie le devoir de préserver l’éthique journalistique contre ce qui se présente comme du journalisme mais qui n’en est pas. »

Les technologies de l’information nous ont fait entrer dans une ère nouvelle et ont fait de l’information une arme de domination massive des esprits, de détournement des consciences. Nous n’en sommes sans doute pas encore suffisamment conscients. La confiance et l’espérance sont les proies de ces nouveaux outils qu’il est urgent d’apprendre sinon à maîtriser dans nos usages, du moins à réguler dans leur diffusion. La victoire et la paix du coeur passent toujours par la sagesse du langage. “Cette dimension de sagesse est d’autant plus indispensable aujourd’hui que l’immense accroissement du pouvoir technique de l’humanité demande une conscience vive et renouvelée des valeurs intimes” rappelait Jean-Paul II. Puisque nous sommes tous, participant à cette effroyable guerre, par l’information que nous en recevons et que nous relayons, nous avons tous une responsabilité sur ce que nous entendons et ce que nous disons, ce que nous expliquons et ce que nous transmettons. Puisque l’information participe réellement de la guerre, et que cette information nous rejoint, osons, nous aussi œuvrer pour sauver dans les cœurs et les esprits, l’espérance d’un monde meilleur où triomphe enfin la paix.

Notes :

[1Jean-Paul II Fides et ratio, 90

[2Michel Lacroix, « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes », Ed Robert Laffont

[3« C ce soir » sur France TV, le 8 mars 2022


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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