La confessionnalisation des votants n’a pas sa place dans l’élection

Les urnes ont parlé lors du premier tour de l’élection présidentielle. Comme chaque fois, chacun est sommé sinon d’apporter un soutien du moins de donner des indications de vote. Comme chaque fois, la pression monte entre les deux tours sur les cultes et les responsables religieux pour qu’ils prennent parti pour l’un ou l’autre des candidats. Or, c’est précisément ce que les évêques de France refusent de faire. Non sans avoir donné des clés de discernement, ils appellent à ce que chacun se détermine librement et en conscience.

Le niveau de l’abstention a prouvé une fois de plus l’affaiblissement de la conscience de la citoyenneté. C’est elle, la citoyenneté, qui réunit les Français dans leur diversité. C’est elle qui est à l’honneur dans le processus électoral. Car c’est elle qui exprime l’égalité des citoyens dans l’élection suprême à la Présidence de la République. C’est la citoyenneté enfin qui transcende les appartenances de groupe pour ne reconnaître en dernière analyse, que l’appartenance commune à ce que l’on peut appeler la « nation ». Il est permis de déplorer le recours aux catégorisations confessionnelles pour expliquer le sens de certains votes.
Les instituts de sondage et les analystes politiques présentent l’attitude des électeurs face aux scrutins (leur vote ou leur abstention) comme le résultat d’appartenances catégorielles, notamment religieuses. Ce faisant ils ne contribuent pas à faire grandir la conscience du lien que chaque scrutin établit entre les électeurs au service de la collectivité. Au contraire, ils utilisent leur production pour montrer un corps électoral fragmenté. Mais n’est-ce pas d’unité nationale dont nous avons aujourd’hui le plus besoin ? Cette unité n’est pas un donné de nature, nous le constatons sans cesse. Elle est le fruit dans les consciences, du sentiment d’appartenance commune à une nation. L’heure de voter est aussi l’heure de se réunir en vue du bien du pays en votant en conscience.
Les élections devraient être un temps privilégié pour reconstituer dans les esprits, le sens du bien commun de l’appartenance nationale. Les électeurs sont à l’évidence habités par des représentations différentes, façonnés par des convictions différentes et appartiennent à des groupes sociaux différents. Certes, mais à l’heure de l’élection suprême, ils ont en commun un même pouvoir : le vote.
Un citoyen, un vote.
Les nombreuses considérations sociologiques et études d’opinions découpent trop facilement ce corps électoral en morceaux. Elles nourrissent abondamment la scène médiatique pour finir par renvoyer à l’opinion publique ses fractures et non son unité. Elles laissent le corps électoral en lambeaux, comme s’il n’y avait qu’une concurrence d’intérêts catégoriels, concurrence d’identités avec ce soupçon porté sur les identités religieuses.

A l’heure de l’élection, le droit de vote qui échoie à tous les citoyens devrait être la première de toutes les considérations. C’est la conscience du partage du même droit de voter qui cimente l’unité des citoyens dans le processus politique. Comment ferons-nous aimer la France si l’expression libre des citoyens français n’est pas d’abord reconnue et respectée ?
C’est parce qu’ils sont français que les électeurs votent pour donner à la France un pouvoir de gouvernement. Le processus démocratique et laïque fait clairement apparaître le lien entre un pays et tous ses citoyens sans distinction. Les appartenances de groupes sociaux, religieux, ethniques n’ont pas à subvertir la démarche citoyenne.
Or, la référence à la citoyenneté française est étrangement absente des commentaires médiatiques.
Même déçus, voire très déçus par l’offre politique, c’est d’abord pour la France que doivent voter tous les citoyens français. Ce ne sont pas les candidats qui sont les premiers destinataires des votes, mais la France.
A travers les candidats, c’est la France - qu’ils font profession de servir - qui est le vrai enjeu des élections.Si la citoyenneté française fonde le pouvoir de voter lors des élections, et si la citoyenneté commune doit être la base d’un avenir commun, alors il ne faut pas confessionnaliser les votants. Or, chaque élection fait revenir par curiosité ou opportunisme médiatique, une classification des électorats selon les confessions religieuses.
Il y a là, me semble-t-il, une forme d’irresponsabilité à l’égard du corps électoral.
En effet les affiliations religieuses des votants n’ont pas leur place dans l’évocation du processus électoral.

S’il est inévitable que l’on cherche à savoir « qui a voté quoi », et si le prisme religieux peut servir de critère, la République laïque s’honore d’un processus électoral qui sait transcender les appartenances de groupes.
Or, la volonté de confessionnaliser les votes nourrit un marronnier médiatique plus qu’un réel intérêt des citoyens ayant ou pas une famille religieuse. On se plait à chercher le vote des catholiques, des musulmans, des juifs, mais jamais ceux des athées, des agnostiques, ceux des fans de football ou de rugby… On introduit une confusion entre le simple constat et causalité. Est-ce en tant qu’elle est musulmane, juive ou chrétienne, qu’une personne vote ? Non, elle a aussi une profession, elle appartient à une catégorie sociale. Autant de critère qui rentrent en ligne de compte dans son choix. C’est pourquoi nous devrions considérer son vote seulement en tant qu’elle est une personne de nationalité française.

Lorsque la religion sert de critère de vote, on ne rend service à personne ; ni à la nation, ni à la religion ! Elle tend à être réduite à une catégorisation sociale parmi d’autres. Cela participe à l’effacement de son apport spécifique sur la nature humaine et sur sa destinée.

Notre société française a progressivement confondu l’affiliation religieuse et l’appartenance à un groupe social ordinaire. Si bien que l’on pourrait croire – ou voudrait croire – que la confession religieuse s’apparente à une force politique, ni plus ni moins. Or, une religion n’a pas d’abord la société politique comme objet, mais la commune nature humaine des hommes et des femmes et leur destin.
Notre société laïque dispose d’un atout majeur pour conserver à chacune leur valeur propre. Redisons-le, les confessions religieuses des votants n’ont pas leur place dans le processus électoral qui réunit d’abord des citoyens d’un même pays, ayant en partage une même citoyenneté, ferment de leur unité. A l’heure du vote, le citoyen prime le croyant. Et ce n’est pas faire injure au croyant que de le dire, mais honorer ce que les citoyens ont en commun qu’ils soient croyants ou pas.
La faible conscience de la citoyenneté française, de sa fierté, conduit des personnes à se réfugier derrière les identités religieuses. Mesure-t-on seulement ce que cette pratique peut avoir comme funestes conséquences ? L’affiliation religieuse n’est pas sans valeur pour discerner ses choix en conscience, mais elle n’a pas sa place lorsqu’il s’agit de répondre à l’appel du pays, et à l’accueil du vainqueur qu’auront choisis les Français pour leur pays.
Le communautarisme fait aussi son lit dans notre manière de présenter la société française comme un agrégat de communautés.
Ce n’est pas d’abord un croyant qui doit s’exprimer dans un vote, - même s’il est croyant - mais un citoyen quelles que soient son affiliation religieuse ou ses convictions.
La citoyenneté transcende non seulement les partis politiques mais aussi les appartenances religieuses. En ce sens, il doit exister une éducation à la citoyenneté et un appel constant à la responsabilité de chacun de prendre part aux votes. L’époque est hélas clairement marquée par une faiblesse inquiétante du sentiment d’appartenance nationale. Nous ne savons plus le cultiver.

L’élection suprême à la Présidence de la République devrait être le moment privilégié de la vie politique où émerge la dignité citoyenne que notre pays reconnait à chacun de ses membres.
Lorsque pour une fois ce ne sont pas les religions qui confessionnalisent, faut-il que les politiques et les médias s’en chargent par opportunisme électoral ou éditorial ?

Peut-on imaginer que les Français croyants puissent vouloir être reconnus comme Français sans être renvoyé à une communauté religieuse et non à la communauté nationale ?
Etre dépositaire du droit de prendre part à l’avenir de son pays par le vote devrait être la seule réalité qui vaille en ces heures. Les réductions ad corporatio n’ont pas leur place dans un évènement qui réunit avant tout les Français sans autre titre que celui d’être Français.

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