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La personne seule est digne de confiance … pas nos machines !

Dans une récente interview, le professeur Raja Chatila [1], professeur émérite d’intelligence artificielle et d’éthique des technologies à Sorbonne Université expliquait qu’« un certain nombre d’institutions sont en train de déployer des systèmes basés sur l’apprentissage mathématique, de très grande quantité de données, et qui sont arrivés à un point de développement tel, qu’ils sont capables de reproduire des textes, qui semblent rédigés par des humains. Mais ces textes ne sont pas porteurs de vérité, il est difficile de distinguer le vrai du faux. Un autre problème est l’absence totale de sens. Ces systèmes ne comprennent pas ce qu’ils écrivent ou ce qu’ils disent ».

A la lumière de ces propos, apparait l’incontournable question : « peut-on faire confiance à une machine ? »

La question se pose avec d’autant plus d’acuité que les intelligences artificielles génératives permettent de générer des photos réalistes, des textes cohérents. Ces productions de l’industrie numérique viennent solliciter notre confiance. La méritent-elles seulement ? Disons-le d’emblée, on se sert des machines et on fait confiance à des personnes. Et non l’inverse.

Si la machine calcule, ses résultats sont des chiffres. Alors oui, si ses calculs sont justes, il est légitime de s’en servir. Mais si la machine parle, alors il faut se retenir de lui accorder notre confiance et de la croire. Pourquoi ? Parce que la machine est conçue à partir du calcul et pour calculer. Elle n’est pas conçue dans une parole qui susciterait en elle une parole. Elle ne sait ni penser, ni parler. C’est la dialectique fondamentale entre le chiffre et le verbe. La tension entre la technicité et la fécondité : la technicité des chiffres et la fécondité des paroles. Ou encore entre la production et la poésie. L’être humain ne peut pas produire de la vérité, il peut seulement la concevoir en lui-même. Notre époque technicienne tend à se fier davantage à des calculs qu’à des paroles. Elle réduit la vérité à des chiffres et des mesures. La production algorithmique de textes et de paroles se rapprochent tellement de notre génie poétique, de nos pratiques d’écritures et de langage que nous sommes enclins à nous laisser impressionner, et à confondre la machine avec une personne. Or, il y a loin de la technologie à l’inouï de la personne humaine.

La puissance de calcul permet de faire parler des machines. Nous sommes éblouis parce que nous sommes trompés. Nous nous prenons au jeu. Seule une personne cependant vit de paroles. C’est son aliment vital qui nourrit sa pensée. Même parlante, une machine ne pense pas de pensée. Elle n’est pas apte à la pensée qui seule spécifie la nature humaine. La personne seule est digne de confiance, car la confiance se porte toujours sur sa pensée qui excède toute mesure. C’est à nous qu’il appartient de préserver une société de la confiance, confiance en des personnes et non en des machines. Croire revient toujours à se fier à l’autre, à entrer dans la propre affirmation de vérité que cette personne énonce. Or, cette vérité participe de sa vie. C’est pourquoi, lorsque nous avons foi en une personne, nous entrons dans une communion à sa propre vie. La vie relationnelle n’est pas réductible à des calculs de probabilité. Cette confusion guette notre XXIème siècle. L’être humain s’humanise seulement en entrant en relation de confiance dans la clairvoyance de l’esprit d’une autre personne. Telle est la base de la vie relationnelle humaine.

La confiance apparaît comme la protéine de toute société humaine. Confiance dans l’intention des autres et confiance dans l’organisation commune. La confiance repose sur l’apriori que les autres agiront en vue de notre bien commun. Si l’on substitue aux liens de confiance des mesures techniques de contrôle, - telle la vidéosurveillance algorithmique - nous instaurons un nouveau régime de relations entre les personnes.

De même, la diffusion massive d’images, de sons, de vidéos trafiqués produit un effondrement de la confiance. Les sens sont abusés. Ces technologies mises à la portée de tous, avec une forte viralité de diffusion, dégradent rapidement les bases de la confiance. Comment prouver aujourd’hui qu’une image est vraie ? C’est tout aussi difficile que de prouver qu’une image est fausse ! Une réécriture de l’histoire peut s’opérer à notre insu et aux dépens de la mémoire commune. Or, sans réalité factuelle partagée et sans vérité partagée, la protéine de la vie commune disparaît. Le corps social s’anémie et se crée une société de la défiance.
La révolution de l’intelligence artificielle générative produit donc un renversement que chacun va ressentir tôt ou tard : nous passons d’un apriori de vérité pour détecter le faux, à la détection de la vérité à partir d’un présupposé de faux. Aucun humain ne peut vivre sans vérité. Elle est la stabilité de son environnement mental qui a besoin de sens et de cohérence.

En travaillant sur les implications philosophiques de la révolution scientifique, le physicien Bernard d’Espagnat (1921-2015) écrivait que «  la méthode scientifique nous incite à diriger notre pensée vers le principe ultime des choses, conçu comme fondement du sens. Et elle nous indique dans quelle direction il nous faut chercher la réponse au désir de compréhension et de communion qui nous fait homme (…) elle vient aider chacun de nous à se rapprocher de l’autre dans l’accomplissement de soi-même ».

Peu à peu, nous verrons que nous aurons tous besoin de retrouver des relations interpersonnelles, car la confiance trouve sa substance dans la relation aux personnes et non aux machines. Au fond, l’univers technologique ne fait que déplacer une éternelle question. La question « en qui est-ce que je mets ma confiance ? » demeure la clé de toute existence. « Qui croire ? » s’impose avant la question « qu’est-ce que je crois ? ». La confiance s’enracine dans une personne et non dans un savoir seulement. C’est la recherche de la personne en qui se fier sans crainte, sans aucune réserve car elle est vérité. Cette recherche apparaîtra peu à peu comme l’ultime voie de sortie d’un monde contaminé par les productions factices. Limité dans ses connaissances, entouré d’inconnaissable, l’être humain redécouvre dans la confiance, cet infini auquel son esprit aspire. La science algorithmique va donc nous pousser malgré elle, vers la sagesse poétique.

Il y a deux milles ans lorsque Pilate interrogeait Jésus sur les accusations qu’on portait contre lui, il demandait : « qu’est-ce que la vérité ? ». En cela, il incarnait l’humanité face à la nécessité absolue de connaître la vérité. La vérité nous précède toujours. Elle se tient toujours là, devant nous, dans l’homme humilié, dont on est ultimement responsable. C’est elle la vérité infalsifiable qui dévoile son visage dans l’amour qui se donne et fait se donner.

Gageons donc, que si les technologies d’intelligence artificielle générative viennent d’esprits troublés qui troublent le monde, elles pourront malgré elles, la reconduire à la source de toute clarté qui clarifie l’esprit humain : c’est l’amour.

Voilà en somme, le joyeux mystère de Pâques !

Voici 3 liens, pour aller plus loin :

  1. https://www.cnews.fr/les-replays/les-visiteurs-du-soir
  2. https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4725334-intelligence-artificielle-sommes-nous-en-danger.html
  3. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-31-mars-2023-4312849


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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