Depuis sa fondation, la République populaire de Chine considère les religions comme des forces concurrentes à l’autorité du Parti communiste chinois (PCC). Toute instance spirituelle est sous surveillance : aucune loyauté supérieure à celle due à l’État ne peut être tolérée. Le fait de fédérer des communautés au-delà des frontières nationales et de nourrir des aspirations qui échappent au contrôle politique, est une menace pour le régime.
Depuis septembre 2025, la République populaire de Chine a franchi un cap dans son contrôle de l’expression religieuse en ligne. L’Administration d’État pour les affaires religieuses a publié un texte intitulé « Règles de comportement en ligne du personnel religieux » qui encadre strictement l’activité des prêtres, pasteurs, moines et imams sur les réseaux sociaux et plateformes numériques.
Elles interdisent de prêcher ou d’organiser des offices en ligne ; elles prohibent les retraites, méditations et formations spirituelles virtuelles ; elles bannissent l’usage de l’intelligence artificielle à des fins de prosélytisme ; elles interdisent la collecte de dons en ligne et tout enseignement religieux destiné aux mineurs ; elles s’appliquent même aux plateformes étrangères et aux religieux de Hong Kong, Macao et Taïwan. Seuls les membres d’organisations religieuses reconnues par l’État, disposant d’une licence officielle, peuvent diffuser certains contenus en ligne. Toute initiative doit passer par des sites ou applications créés légalement par les structures religieuses enregistrées. Les religieux doivent fournir un certificat officiel aux fournisseurs d’accès lorsqu’ils ouvrent un compte public.
Ces mesures suscitent des critiques internationales, notamment pour leurs atteintes à la liberté religieuse. Elles menacent les communications ordinaires entre les Églises locales et leurs instances internationales (ex. : relations entre les évêques chinois et le Vatican).
L’objectif politique est clair : rien ne doit entraver la « sinisation » des religions. Il s’agit de soumettre toute expression spirituelle au contrôle du Parti communiste chinois. Le clergé est sommé de pratiquer les « valeurs fondamentales du socialisme », d’adhérer au principe d’indépendance religieuse propre à la Chine et de contribuer à une foi « patriotique ». Pour neutraliser ce que le régime perçoit comme une menace, les religions doivent ainsi devenir vecteurs d’unité nationale, réduites à une fonction culturelle ou folklorique. Toute dimension spirituelle autonome est effacée au profit d’une instrumentalisation politique qui cherche à limiter l’influence étrangère et imposer une homogénéité idéologique.
Derrière ce verrouillage juridique, le régime chinois a bien perçu le pouvoir subversif des technologies numériques qui s’ajoute à celui des religions. Il cherche à en neutraliser les effets, dont l’accès à la connaissance religieuse est le plus important. Les contenus numériques viennent contester toutes les autorités instituées, instaurent de nouvelles figures d’autorité, et le régime n’échappera pas à l’avènement de narratifs sur lesquels il n’aura aucune prise. Il en vient à criminaliser tout lien jugé extérieur, en particulier avec des institutions religieuses internationales.
La peur du régime repose sur la perte de contrôle idéologique : les religions véhiculent une transcendance qui dépasse l’autorité du Parti et relativise l’idéologie officielle.
Le régime craint la force communautaire : les communautés religieuses sont des réseaux vivants, capables de solidarité et de mobilisation hors du cadre étatique.
Le régime redoute la dimension transnationale : les liens avec Rome, La Mecque, Dharamsala ou d’autres centres spirituels, sont perçus comme des canaux d’« infiltration étrangère ».
Le régime sait le pouvoir de la mémoire des contestations et des mouvements religieux ou spirituels qui sont considérés par Pékin comme des foyers d’opposition.
Cette politique révèle la crainte profonde du régime : qu’émerge, au sein de la société, une liberté de conscience qui échappe à son pouvoir. En cherchant à éliminer le mystère, la transcendance et le lien communautaire indépendant, le parti communiste tente de transformer la religion en simple décor de la nation socialiste. Mais ce faisant, il confirme paradoxalement la force subversive de la foi : celle d’ouvrir l’homme à un horizon plus grand que le pouvoir politique. Une société digne de l’homme veille à protéger le souffle de la liberté.
La grave méprise du régime communiste chinois est d’ignorer que « Dieu » nous précède à l’intime de nous-mêmes avec ou sans les technologies numériques. Il habite la profondeur de la conscience de toute personne qui peut entendre son appel à la vérité. La grande affirmation du Concile Vatican II est justement que "la vérité ne s’impose jamais par la force, sinon par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance" (Dignitatis humanae,1). La relation entre Dieu et l’homme ne peut jamais être l’objet d’un contrôle. Le régime chinois ne pourra jamais dominer les consciences en régulant le flux des contenus religieux sur les réseaux sociaux. Comme toute dictature de la pensée, la régulation chinoise de l’expression religieuse en ligne est vouée à l’échec. En accroissant sa surveillance, il confirme ses peurs et se discrédite d’autant. La "liberté religieuse" est la marque la plus grande de la « dignité humaine » qui fait de « Dieu » et de sa vie, la fin ultime de tout homme.