“ Laudate Deum ” est le cri et l’appel du Pape François face au défi climatique ! “Louez Dieu !” car seule la conscience de notre relation à Dieu permet d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux. Dans ce texte court et percutant, le Pape François appelle à la décision politique pour affronter la crise climatique.
La réalité infalsifiable
« Laudate Deum », « louez Dieu pour toutes ses créatures ». C’est l’invitation que saint François d’Assise a lancée par sa vie, ses cantiques et ses gestes. Toute la nature et toutes les créatures sont une œuvre admirable, l’œuvre d’un Maître, l’œuvre de Dieu ! Le Pape François estime qu’il n’y a pas de réelle réponse aux défis écologiques sans sursaut spirituel, pas d’écologie effective sans la capacité de relier l’environnement à un don premier. Seule une théologie de la création, une conscience de la grâce de ce don premier, absolument gratuit du monde et de la vie, permet la gratitude. Et seule la gratitude porte la réponse juste capable de prendre soin du vivant. La gratitude seule atteste de la responsabilité des hommes à l’égard du donateur et du don. L’écologie n’est à la fois sociale, politique et culturelle que si elle retrouve sa veine spirituelle. Or à ce stade, le paradigme technocratique et sa puissance technique nourrit la seule réponse de l’humanité au défi climatique. Seul un renouveau de la foi en Dieu Créateur permet de comprendre que ce monde n’est pas d’abord à nous, mais à Lui : nous sommes ici chez Lui, comme des hôtes de passage. Ce renouveau de la relation au Maître véritable de nos vies peut libérer l’action décisive pour la protection de l’environnement et prévenir l’aggravation des souffrances humaines, dont la souffrance des pauvres est l’expression la plus flagrante. François estime que nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. Il s’agit d’un problème social qui touche toute la communauté mondiale. “Tout est lié”, répète le Pape, le cri de la terre et le cri des pauvres sont un même cri dénonçant le “péché structurel” qui blesse la création et la fraternité. Ce péché instaure une “logique du profit maximum au moindre coût, déguisée en rationalité, en progrès et en promesses illusoires”. C’est « une maladie silencieuse qui nous affecte tous ». « Ces dernières années, de nombreuses personnes ont tenté de se moquer de ce constat » : or il y a bien « une accélération inhabituelle du réchauffement ». Or, « la réalité est qu’un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50 % plus pauvres de la population mondiale. On ne peut plus douter de l’origine humaine, - “anthropique” - du changement climatique qui « coïncide avec le développement industriel. Malheureusement, la crise climatique n’est pas vraiment un sujet d’intérêt pour les grandes puissances économiques, soucieuses du plus grand profit au moindre coût et dans les plus brefs délais possibles. Alors dit François « les autres créatures de ce monde ont cessé d’être nos compagnes de route pour devenir nos victimes ».
« Nous ne pouvons plus arrêter les énormes dégâts que nous avons causés. Nous avons juste le temps d’éviter des dégâts encore plus dramatiques. » « Il est donc urgent d’adopter une vision plus large qui nous permette non seulement d’admirer les merveilles du progrès, mais aussi de prêter attention à d’autres effets que nous n’aurions probablement pas pu imaginer il y a un siècle. » Cela permet au Pape de répéter deux convictions sur lesquelles il insiste infatigablement : “tout est lié” et “personne ne se sauve tout seul”.
Sortir du paradigme technocratique
Ainsi, le Pape François revient fortement sur le danger du paradigme technocratique “qui s’alimente lui-même de façon monstrueuse”. Il consiste à penser “comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même”. Sous son effet, “tout ce qui existe cesse d’être un don qu’il faut apprécier, valoriser et protéger, et devient l’esclave, la victime de tous les caprices de l’esprit humain et de ses capacités”. “Il est effrayant de constater que les capacités accrues de la technologie donnent « à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier”. Or, dit François, “toute augmentation de pouvoir n’est pas forcément un progrès pour l’humanité” et “l’admiration du progrès ne permet pas de voir l’horreur de ses effets”. Le Pape explique que “l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience […]. L’homme est nu, exposé à son propre pouvoir toujours grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il peut disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et une spiritualité qui le limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide”.
Contrairement à ce paradigme technocratique, François affirme que “le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimitées”. “Nous ne pouvons même pas dire que la nature serait un simple “cadre” où nous développerions nos vies et nos projets, car « nous sommes inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle”, de sorte que “le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur”. “Le paradigme technocratique a détruit cette relation saine et harmonieuse. Il y a lieu de répéter aujourd’hui l’ironie de Soloviev : un siècle tellement avancé qu’il a des chances d’être le dernier. Lucidité et honnêteté sont nécessaires pour reconnaître à temps que notre pouvoir et le progrès que nous générons se retournent contre nous-mêmes”.
Une nouvelle autorité mondiale
François déplore “la décadence éthique du pouvoir réel, déguisée par le marketing et les fausses informations, qui sont des mécanismes utiles aux mains de ceux qui disposent de plus de ressources afin d’influencer l’opinion publique”. Il en appelle à une autre “forme d’autorité mondiale régulée par le droit” car jusqu’à présent “les stratégies développées dans le monde, semblent avoir visé plus d’individualisme, plus de désintégration, plus de liberté pour les vrais puissants qui trouvent toujours la manière de s’en sortir indemnes”. François appelle “à pallier les faiblesses de la Communauté Internationale, son manque de coordination dans des situations complexes”. Le Pape appelle “à générer un modèle de diplomatie multilatérale qui réponde à la nouvelle configuration du monde”. Il suggère “une sorte de plus grande “démocratisation” dans la sphère mondiale pour exprimer et intégrer les différentes situations”. “Ceux qui souffriront des conséquences que nous tentons de dissimuler rappelleront ce manque de conscience et de responsabilité”.
Les Émirats Arabes Unis accueilleront la prochaine Conférence des Parties (COP28). “Dire qu’il n’y a rien à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique. Si nous avons confiance dans la capacité de l’être humain à transcender ses petits intérêts et à penser en grand, nous ne pouvons renoncer à rêver que cette COP28 conduira à une accélération marquée de la transition énergétique, avec des engagements effectifs et susceptibles d’un suivi permanent. Je considère qu’il est impératif d’insister sur le fait que chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial”. “Nous courons le risque de rester enfermés dans la logique du colmatage, du bricolage, alors qu’un processus de détérioration que nous continuons à alimenter se déroule par-dessous”. “Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide”. Le soutien de tous est nécessaire. On ne peut qu’attendre des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : efficaces, contraignantes et facilement contrôlables ; cela pour parvenir à initier un nouveau processus radical, intense et qui compte sur l’engagement de tous. Cela n’est pas advenu sur le chemin parcouru jusqu’à présent, mais ce n’est que par un tel processus que la crédibilité de la politique internationale pourra être rétablie. Espérons que ceux qui interviendront seront des stratèges capables de penser au bien commun et à l’avenir de leurs enfants, plutôt qu’aux intérêts circonstanciels de certains pays ou entreprises. Puissent-ils montrer ainsi la noblesse de la politique et non sa honte. Aux puissants, le Pape ose cette question : “Pourquoi veut-on préserver aujourd’hui un pouvoir qui laissera le souvenir de son incapacité à intervenir lorsqu’il était urgent et nécessaire de le faire ?”.
À l’adresse des fidèles catholiques
À l’adresse des fidèles catholiques, le Pape François réserve sa conclusion. Il ne veut pas manquer de leur rappeler “les motivations qui naissent de leur foi”. “La Bible raconte que « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31). « À lui appartiennent « la terre et tout ce qui s’y trouve » (Dt 10, 14). C’est pourquoi il nous dit : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la terre m’appartient et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23). « Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Si « l’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier, il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre ». Le monde chante un Amour infini, comment ne pas en prendre soin ?”
Au paradigme technocratique, François oppose donc le paradigme de l’émerveillement, de la louange. “Dieu nous a unis à toutes ses créatures. J’invite chacun à accompagner ce chemin de réconciliation avec le monde qui nous accueille, et à l’embellir de sa contribution, car cet engagement concerne la dignité personnelle et les grandes valeurs. Il faut être sincère, dit François, et reconnaître que les solutions les plus efficaces ne viendront pas seulement d’efforts individuels, mais avant tout des grandes décisions de politique nationale et internationale”. Il conclut en rappelant “qu’il n’y a pas de changement durable sans changement culturel, sans maturation du mode de vie et des convictions des sociétés ; il n’y a pas de changement culturel sans changement chez les personnes”. Seule “une nouvelle culture” permettra la “mise en place de grands processus de transformation qui opèrent depuis les profondeurs de la société”.