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Le poids insupportable de la transcendance de l’homme

La France, alors qu’elle est assommée par la crise sanitaire et économique, voit les parlementaires affairés à débattre de l’euthanasie et des techniques de procréation. Cette volonté d’inscrire dans la loi le pouvoir de faire naître par l’effet du seul vouloir, et de pouvoir de mourir ne tient pas complètement du hasard. Elle répond à la transformation des représentations de l’être humain engagées depuis plusieurs décennies. Finalement, l’être humain ne serait qu’un élément du monde parmi les autres, un vivant parmi les vivants et sans prééminence. Et rien ne devrait contrevenir à l’usage des nouvelles capacités techniques permettant d’accroitre son pouvoir sur le vivant. Si le pouvoir de l’homme s’est considérablement accru, doit-il pour autant vouloir tout ce qu’il peut ?

Des français s’opposent et redoutent les évolutions législatives perçues, non comme des progrès, mais comme de nouvelles formes d’asservissement de l’humain aux techniques. Les nouveaux pouvoirs issus des technologies emportent de possibles effets destructeurs qu’il est difficile de mesurer à l’avance, et auxquels il est difficile de résister s’ils permettent un gain économique certain sans trop de délai. Rien n’est certain à plus long terme. La question de la durabilité du progrès est au cœur de la politique écologique des Etats. Des Français contestent des dispositions juridiques au nom d’une conception de la nature, ou de l’être humain. Ils ne sont plus majoritaires dans l’opinion publique largement acquise à la cause des avantages acquis par les techniques.

Est-ce pour autant une bonne chose ? La clairvoyance de quelques uns peut-elle éviter une dérive de tous ? C’est toute la difficulté que rencontrent nos sociétés démocratiques. La question revient à distinguer le fait majoritaire avec l’évidence du bien. Ce n’est pas parce qu’une majorité de personnes se disent favorables à de nouvelles dispositions législatives, que pour autant, elles soient véritablement au bénéfice de la société elle-même. Cela ne peut s’entendre que si l’on s’interroge sur ce qu’est une société et ce dont elle a besoin pour demeurer, une société humaine et libre, et non pas une société technicienne ou l’homme s’aliène lui-même à ses propres outils techniques. Or, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il n’est plus question de s’interroger sur la nature humaine, entendons sur sa dimension métaphysique. Il n’est question que de déconstruire l’homme, comme s’il fallait le punir des affres de l’histoire. Notre époque refuse de voir et de croire à l’existence d’une nature humaine, et préfère envisager une autoconstruction de l’homme par lui-même à l’image des machines. L’homme sort de son animalité par la puissance de ses machines. L’humain est seulement une vie physique et biologique, il n’y a plus de nature morale en l’homme, qui l’obligerait à suivre une loi intérieure, la loi de la conscience qui l’éclaire sur le bien à espérer et à réaliser. La formidable capacité technicienne de notre modernité n’est pas compensée ou équilibrée par une pensée philosophique, une sagesse protectrice de l’humanité.

La dimension spirituelle de l’être humain s’est peu à peu évaporée dans les esprits, comme dans l’expression médiatique. Pour quelles raisons ? Essentiellement parce que l’humanité reste profondément blessée par un XXème siècle qui aura été le plus meurtrier de toute l’histoire. Si l’esprit de l’homme est hélas capable de tant de barbaries, il faut lui retirer son esprit et l’incliner à faire primer sa vie corporelle, sans plus se soucier de la signification de sa liberté. Devant le carnage des barbaries idéologiques et politiques, les sociétés modernes se sont reconstruites en neutralisant tout réflexion sur la nature humaine. La nécessité de penser la nature humaine s’est effacée devant la possibilité de garantir le progrès de l’humanité grâce aux innovations techniques. Le visible prime l’invisible et le biologique efface le spirituel. Grâce aux fantastiques progrès des sciences, l’homme moderne se rachetait une vertu crédible et éloignait le spectre terrifiant des idéologies politiques et spirituelles.

Désormais, la bonté de l’homme s’atteste par sa capacité à se faire du bien à lui-même et à chercher à se rendre la vie heureuse. Le bonheur consisterait désormais à éliminer tout type de souffrance physique ou psychique, à repousser la mort et à détourner la conscience de la vérité de l’énigme de la mort, et du mystère du mal dans l’homme et dans le monde. Ces questions furent tacitement décrétées tabous, jugées contraires au principe d’une heureuse jouissance de soi. Puisqu’il est établi que l’homme n’a pas d’autre destinée que la tombe et que sa vie se réduit à la seule biologie de son corps, il est affirmé jusque dans les écoles, que l’homme se réduit à son corps, à ses émotions, à ses désirs. A quoi bon méditer sur la vocation d’une nature spécifiquement humaine, ou sur le terme du chemin terrestre ? Il n’y a plus à se soucier d’un hypothétique destin par-delà la mort. Puisque l’homme, pense-t-on, n’est que matière et que toute croyance sur un devenir dans la mort même n’est qu’absurdité, il convient de s’affranchir de toute tutelle morale. La dignité de l’homme est redéfinie par l’homme lui-même. Comment ne pas le comprendre ? Après les horreurs de la guerre et des régimes totalitaires, comment ne pas vouloir retrouver une belle estime de soi ? Il ne fallait plus tolérer d’idéologie politique sinon celle du progrès rendant l’homme meilleur parce que plus performant. Devenir meilleur, ou saint, implique trop la question morale.

Cette catégorie disparaît et la performance a déclassé la sainteté de jadis. Or, la dimension morale de la vie ne peut pas disparaître pour autant. En témoigne, la corruption de l’homme, qui hélas, s’est allié à présent à la puissance faramineuse des techniques atomiques et génomiques. C’est bien une conscience morale qui nous invite aujourd’hui à reconsidérer notre rapport à l’environnement.

Cet entêtement moderne à se façonner un monde à sa mesure, et au gré de ses plaisirs et de ses désirs traduit un malaise intérieur profond.
Pourquoi, au fond, l’homme ne pourrait-il pas faire ce qu’il veut de lui-même puisque son séjour terrestre est sans perspective ?
Pourquoi ne pas jouer du pouvoir de sa science et de la biologie puisque nulle promesse heureuse n’accompagne notre courte vie ? La fin de la dimension transcendante de l’homme a ouvert les portes à d’autres formes de barbaries, indiscernable au regard et pourtant si pesantes. Quel mal y aurait-il à s’auto-transformer ou à s’auto-éliminer ? N’est-il pas entendu que l’homme ne compte pour personne et certainement pas pour un hypothétique créateur, dont il est à présent convenu du caractère à la fois mythique et enfantin ?

Ce que nous voyons aujourd’hui à travers les évolutions législatives sur l’euthanasie, l’avortement et les techniques de procréation médicales et commerciales prolongent dans le droit la négation de la dimension transcendante de l’homme patiemment diffusée dans les têtes. C’est une sorte de suicide de l’homme qui ne tolère plus le poids de sa vie psychique. Il ne s’agit pas tant de craindre les effets futurs que de telles abdications peuvent emporter sur la société. Il s’agit de comprendre combien ces évolutions législatives sont la conséquence logique de l’effacement progressif mais complet des repères anthropologiques classiques, fondant la dignité de la personne sur sa destinée. Or, la modernité a pris en horreur la pensée classique qu’elle rend coupable des tragédies du XXème siècle. La rationalité moderne a pris en aversion l’hypothèse d’une rationalité supérieure, supérieure parce que divine. Depuis bientôt un demi-siècle, la dignité de la personne ne ressort que de son propre ressenti. La promesse d’une destinée bienheureuse transcendant notre condition mortelle s’est totalement évaporée. La fragile poésie du verbe n’a plus de place au royaume de certitudes par les chiffres et les calculs, à l’ère d’une « anthropométrie performative et comportementale à haut risque pour le devenir scolaire et social » des jeunes [1].

Aujourd’hui, les rares défenseurs d’une bioéthique à la mesure de l’humanité dans sa profondeur spirituelle sont sans doute les derniers témoins d’une dignité de l’humain qui échappe à l’homme et qu’il ne peut que recevoir d’un autre.

Notre société, interroge le philosophe et sociologue allemand, Harmut Rosa, est prise dans une tentation de tout contrôler, mais « un monde complètement sous contrôle devient muet, mort et ennuyeux ». Toute volonté de contrôle absolu entrainera un absolu de nouvelle barbarie dont Orwell et Huxley furent les prophètes. Alors, la crise sanitaire de la Covid-19 rappelle mystérieusement à l’humanité que l’incontrôlable reste une dimension structurante de la vie humaine. Il doit demeurer de l’indisponible dans le monde pour que l’homme se développe comme homme.

« L’espèce humaine se définit par sa façon d’affronter la mort, et on peut mourir aussi en humains, comme des êtres qu’une histoire singulière a façonnés et rendus irremplaçables aux yeux d’autres » écrivait récemment le philosophe Jean-Michel Besnier. L’humanité sort ainsi de la confusion avec l’animalité et échappe à la réduction d’être une machine à perfectionner. L’énigme absolue de la mort, qui n’est pas pour l’homme qu’une question biologique, est au fond, un indisponible préservé duquel pourra surgir l’inattendu, l’autre nom de la grâce. Malgré les dérives eugénistes et techniciennes que nous voyons en Europe, et malgré l’illusion de voir le bien dans le « plus », le meilleur pour tous restera d’accueillir généreusement et d’aimer tout ce qui différencie l’autre de soi, permettant à l’autre d’exister, jusque dans ses errances. Alors dans sa différence même, demeurera la source de l’émerveillement par lequel l’humanité s’épanouit vraiment.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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