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Les nouvelles obsessions identitaires

1 - De quoi s’agit-il ?

Dans cette courte vidéo (podcast) je voudrais évoquer avec vous, l’irruption d’une nouvelle idéologie qui entend instaurer et réguler un certain type de relations sociales. On l’appelle en anglais les « politics identities », « cancel culture », ou « woke », et en français, la « politique des minorités », « décoloniale » ou encore des « minorités intersectionnelles ». Cette terminologie est installée dans le paysage public par le traitement médiatique qui en est fait. Bien que relativement insignifiant dans l’opinion, la loupe médiatique le rend opérant. C’est pourquoi, il me faut en expliquer les ressorts.

Il s’agit de la volonté soudaine de corriger jusqu’à l’humiliation parfois, la position jugée dominante d’une catégorie de personnes par rapport à une autre.
Pourquoi ? Parce que certains considèrent que ces personnes ont pu – dans le passé - abuser de privilèges et ont été la cause de souffrances d’autres personnes.
Il s’agit donc d’une spirale de vengeance pour rendre la justice à partir d’une relecture de l’histoire souvent simpliste et caricaturale.
Selon cette idéologie, un ordre juste sera restauré par la punition plus que par la recherche de la vérité. Le refus de considérer la complexité de l’histoire débouche sur une rhétorique fermée sans vrai débat possible.
C’est ce que montre le journaliste Douglas Murray, dans son célèbre ouvrage La Grande Déraison. Il met en garde contre cette croyance qui a fait de la « race », du « genre » et de l’« identité », les moyens de convoquer au tribunal de la bonne conscience toutes les sociétés occidentales. Il leur est reproché des discriminations pour lesquelles elles doivent être jugées.

D’où vient cette idéologie et de quoi est-elle le signe ?

Cette idéologie a pour origine un malaise d’ordre existentiel, politique et spirituel. Elle tient au fait que nous avons traversé une période de plus d’un quart de siècle au cours de laquelle notre manière de penser et de dire le monde, le sens de la vie est devenu sans saveur.
Si le progrès de la science a fait apparaître un monde nouveau, il permet aussi de juger le monde ancien pour sa manière de penser et d’organiser les sociétés. (…)
Un nouveau discours – une rhétorique - s’est constituée pour établir la culpabilité du monde ancien et sa gestion du pouvoir par des catégories de personnes.

Cette recherche en culpabilité traduit l’intense souffrance d’une génération devant le sens de l’existence. Une souffrance qui pense trouver sa cause dans les autres et qui entend trouver sa solution dans les autres : en dénonçant leurs privilèges et leurs positions dominantes.
Dès lors, la vie sociale est ressentie comme une oppression. Et tous ceux qui ressentent un sentiment d’oppression, doivent lutter pour la justice.
Cette mouvance contestataire sait profiter des injustices qui sont hélas partout criantes dans le monde. C’est là, un narratif suffisant pour redonner un sens à l’existence d’une génération. C’est un mouvement contestataire et moralisateur d’autant plus efficace, qu’il y a des injustices partout et donc des coupables en tout.
L’idéologie de la politique des minorités va des questions de genre et de sexualité au véganisme en passant par le racisme, ou la transphobie. Tout est bon pour débusquer un ordre social, et ses discriminations. « Pour cela, il faut instaurer et imposer à nos sociétés une nouvelle métaphysique, et la décliner en dogme et en religion ».

Nouvelle métaphysique signifie justement qu’il n’y a pas de métaphysique ; que l’être humain se trouve seulement dans son physique, et que sa dignité devra nécessairement reposer sur ce qu’on voit qu’il est et non plus sur ce que l’on conçoit qu’il est !
Il est essentiel à ce stade de dire que cette idéologie se sert des « caractéristiques secondes » pour en faire une arme tranchante, séparant les identités les unes des autres : couleur de peau, sexuation du corps, affectivités sexuelles, position sociale … Ce séquençage des identités en morceaux devient l’« intersectionnalité ». Les caractéristiques propres à chacun sont immédiatement essentialisées et métabolisées en différences, fussent-elles existantes par nature. Elles sont immédiatement interprétées comme des injustices. On conteste un ordre racial pour mieux l’établir et pouvoir le contester. La diversité devient en elle-même, intolérable et doit être aussitôt condamnée. Prenons l’exemple d’un homme, blanc de peau, marié et père de famille. Il sera à priori suspect d’être hostile aux femmes et aux personnes noires de peau, et homophobe, etc… L’identité n’est plus définie par la personne mais par ses caractéristiques corporelles, sociales et affectives… « Être blanc, ce n’est pas qu’une couleur de peau, c’est un statut politique, c’est un système de pouvoir auquel sont rattachés des privilèges » explique ainsi l’universitaire Nacira Guénif-Souilamas adepte du mouvement décolonial. (Le Point 14 janvier 2021).

Ainsi le seul fait des caractéristiques de genre, de taille, de couleur de peau emporte des effets sociaux et politiques dont cette idéologie vous rendra coupable. De fait, si aucun individu n’a choisi ce qu’il est, il en a profité, et il doit être possible – pour cela - de le juger au nom des privilèges qu’il s’est octroyé. Dans le même sens, il doit pouvoir se libérer de toute assignation – dont celle de sa sexuation corporelle - à l’image « de « tartelettes » mises par erreur dans le mauvais emballage… » Tout individu qui refuse ce schéma est un oppresseur. Et absolument tout doit être politisé » explique Douglas Murray. Il devient possible d’énoncer des principes pour accuser des personnes au seul motif de leur couleur de peau, comme « le privilège blanc ». La logique selon laquelle nous serions les victimes d’une assignation raciale, ou une assignation de genre depuis la naissance, est une option interprétative biaisée car la vie reçue emporte nécessairement avec elle et pour toute personne, une sexuation et une couleur de peau. Or, cela est dénoncé comme une atteinte à la liberté, et le signe d’une oppression…

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2 – Quels effets ?

Nous avons évoqué le précédent podcast les ressorts de l’idéologie de la politique des minorités, dans sa version indigéniste, décolonialiste, cancel culture et son erreur logique originelle : si vous avez reçu la vie vous ne l’avez nécessairement et évidemment pas choisi. Pas plus que le contexte culturel et social qui s’est imposé à vous. Vous ne pouvez en être responsable. Or, cette prémisse constitue justement l’oppression originelle, cause de toutes les autres. En somme, c’est l’absolue gratuité de cette vie qui est refusée.
Tout doit devenir objet d’un rapport de force politique et de conquête sociale. Sans doute est-ce là un héritage inconscient du traumatisme des guerres et des violences du siècle dernier dont les effets se prolongent dans un rapport au monde privé de gratitude.
Pas content d’être là, pas content d’être comme on est,
pas content de ne pas être content, bref, le monde est en lui-même un crime…
Le passif du passé remonte en surface pour expliquer cette croisade justicière contre l’impardonnable d’hier.
« Les minorités qui estiment avoir été victimes de discriminations entendent aujourd’hui obtenir réparation et exigent plus de droits que les autres groupes, au moins pour un temps. On sent là comme un parfum de vengeance… » explique Douglas Murray.
Cette matrice idéologique fonctionne comme un moteur à deux temps : oppression-libération. C’est la promesse de résoudre toutes les injustices et des restaurer l’égalité pourvu que l’on endosse d’abord l’habit de la victime.
Cette idéologie trouve son carburant dans les effets inégalitaires du système économique libéral. Patriarcat et capitalisme formeraient un couple infernal pour exploiter les femmes. Chacun doit faire état des discriminations qu’il subit ou qu’il a fait subir. Cette « interprétation du monde au prisme de la « justice sociale » de la « politique des identités » et de « l’intersectionnalité » est probablement » pour Douglas Murray, « l’effort le plus audacieux et le plus exhaustif, depuis la fin de la guerre froide, pour bâtir une nouvelle idéologie. »

Où mène cette idéologie des identités ?

Le concept d’« intersectionnalité » veut servir toutes les revendications identitaires et victimaires possibles, les nôtres et celles d’autrui. Elle conduit à une réorganisation sociale et entend décréter un système compensatoire.
Ce système nous mène vers une emprise d’intimidation et de culpabilisation pour complicité d’injustice. Nous sommes entrés dans l’ère de la « philosophie du soupçon appliquée », c’est-à-dire devenue une pratique sociale. Elle séduit une génération de jeunes gens, tous généreux, et désireux de faire progresser les droits de la diversité dans l’ensemble des institutions, des administrations et des entreprises. C’est ainsi que nous avons vu naître une nouvelle catégorie de personnes « LGBTQ », et dans la rhétorique des débats nous avons entendu des expressions comme « privilège blanc » ou « transphobie »…

Notre société s’est affranchie depuis plusieurs décennies de tout enseignement et de toute exigence de vie morale, en particulier celle religieuse du christianisme. Elle se trouve à présent soumise à un prosélytisme très moralisateur, dogmatique et vengeur. Cette nouvelle moralisation permet à la jeunesse de se renvoyer à elle-même, l’image d’une jeunesse vertueuse et bonne. Une bonne conscience bien normative pour compenser ces mêmes normes du bien commun que personne n’a pris la peine de leur enseigner. C’est pourquoi les injonctions moralisantes ne vont pas manquer dans les années à venir, pour nous dire ce qui est bien et ce qui est mal, se substituant à l’effort intellectuel et spirituel des citoyens. Une absence de normes morales engendre non pas plus de liberté, mais plus de normes morales encore et surtout plus archaïques.

Une hypermoralisation ou la morale primaire

C’est le retour d’une hypermoralisation ou d’une morale primaire. Dans l’angle mort de cette pensée se trouve les invariants de la nature humaine. C’est ce que l’on appelle la structure ontologique du réel. Vous pourrez toujours vous plaindre d’être né, noir, blanc ou jaune, homme ou femme, grand ou petit, il a fallu que l’on vous fasse ce don là pour que vous puissiez vous plaindre !
La question de la nature humaine est un impensé contemporain, presque un tabou. C’est pourquoi cette doctrine ne s’intéressera qu’à l’extériorité, réduisant les personnes à leur seule corporéité.

Par le jeu victimaire, s’est installé une lecture concurrentielle des différences.
D’un point de vue philosophique, nous dirions que nous sommes dans l’accident pur ; l’accident qui refuse de considérer la substance ; or, l’accident (la forme particulière visible) n’existe que parce qu’il y a aussi une substance ; il n’y a de personnes noires ou blanches, que parce qu’il y a d’abord des personnes, mais notre époque ne cherche plus à penser la nature humaine.

C’est le signe d’une grave crise de confiance non plus en Dieu, mais en soi-même : et c’est au fond assez logique. Sans Dieu l’homme se perd lui-même et se raccroche à une spirale de la vertu, qu’il s’inflige à lui-même, jusqu’à prendre la forme d’un véritable intégrisme. Emportée par la conviction que nos sociétés sont racistes ou sexistes et qu’il faut les guérir, cette idéologie travaille à transformer le monde en lui imposant ses propres critères de valeurs.

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3 – Quels remèdes ?

Au fond, c’est toujours la question du mal et de la souffrance qui taraude cette pensée. Elle ne peut plus penser métaphysiquement le mal, elle va alors le débusquer physiquement, c’est-à-dire dans le physique de l’humanité. La question du mal dans l’histoire et dans l’homme affleure dans les gender studies, la pensée décoloniale ou les politiques des minorités. C’est aussi le signe d’une terrible angoisse existentielle, angoisse sur sa propre valeur d’individu et une lutte d’indice de valeur : un noir vaut-il un blanc ou plusieurs ? etc… cette idéologie traduit la peur de ne plus savoir ni pouvoir dire qui nous sommes. Pour nous, une personne est une personne humaine et emporte les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Les circonstances de leur vie ne participent pas à l’essence même de leur personne.

Cette idéologie s’identifie à l’hérésie cathare du début XIIIème siècle. Cathare veut dire « pur » ; ses adeptes se persuadent de restaurer une pureté ou une intégrité morale fantasmée partout où il y a de l’oppression, comme si elle avait identifié l’origine du mal. Cette génération woke se drogue aux effluves des tragédies de l’histoire et refuse d’anesthésier sa conscience dans le délir et les dégats du progrès. Ce faisant, elle impose sa tyrannie des minorités en profitant de la tyrannie de la visibilité. « Le paradoxe, dit Douglas Murray, c’est qu’alors même que nos sociétés n’ont jamais été aussi justes qu’aujourd’hui, on les décrit comme plus oppressives que jamais. »

Les effets d’amplifications des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux jouent comme démultiplicateur. Les algorithmes des réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook sont conçus pour faire remonter les expressions politisées, divergeantes et polémiques. Cela permet d’installer dans l’opinion par les voies technologiques des idées qui n’auraient jamais tenues d’un point de vue dialogique. Or, sur les réseaux on ne discute pas : on ne peut pas argumenter. Les entreprises de la Silicon Valley ne se contentent pas de développer des outils numériques, elles permettent à de nouveaux critères éthiques de s’imposer pour gouverner. Ces firmes trouvent leur avantage à ce que certaines personnes proposent l’amélioration des sociétés, persuadées qu’elles sont racistes ou sexistes, et qu’il faut les guérir, etc… Les géants du web se sont trouvés l’alibi éthique de leur développement technique, laissant dans l’ombre la juteuse opération économique.
Ajoutons que cette idéologie prospère grâce à la manipulation du langage, à l’emploi de concepts nouveaux ou des références outrancières à des notions dont on change le sens, à des grossières généralisations ; c’est l’hybris du langage, qui change les règles et s’affranchit de la logique.
Nos nouvelles technologies installent bien un système d’expression politique parfaitement libéral, ou le bien sort d’un rapport de forces.

Quelles solutions ?

Pour sortir de cette illusion des valeurs, il faut redécouvrir la vérité de la réalité : c’est-à-dire son universalité. Je vois trois lieux de réflexions à travailler pour éclairer l’idéologie des identités :

D’abord, la confiance. Nous sommes dans une société ou la confiance a disparu. Elle doit se retrouver devant l’émerveillement de la commune nature humaine. La lutte contre le racisme suppose que l’on considère que la dignité de la personne ne se trouve pas, et ne se trouvera jamais dans ses caractéristiques physiques, mais dans le seul fait qu’elle est une personne, un membre de l’unique et universelle famille humaine. Tout oubli de ce donné commun, de ce profond qui nous unit tous dans un don de vie qui nous précède, dissout la famille humaine et produit du racisme. Il nous faut donc découvrir ce commun qui est un pur don, et qui ne dépend pas de nous. « L’espérance est un risque à prendre… » disait Bernanos.

Ensuite, la question du mal dans l’homme et dans le monde, son origine, ses effets et ses solutions ; C’est souvent au nom du « bien », qu’on peut faire beaucoup de mal. Le bien suppose la liberté d’agir en conscience, jamais la contrainte. Le mal ne s’élimine pas en corrigeant ses effets, comme une tâche que l’on efface, ni ne se guérit comme une maladie ; il disparaît avec la disparition de ce qui le cause. Or, si le mal nous traverse tous, nous n’avons pas par nous-mêmes, le moyen de nous en libérer et de le faire disparaître. C’est pourquoi, il se pardonne et ne s’épuise que par l’effet de l’amour. Le monde devient meilleur seulement parce que les gens deviennent eux-mêmes meilleurs ; et ils sont meilleurs parce qu’ils se montrent davantage capables d’empathie et de fraternité.

Enfin la question de la finalité de l’existence : car après tout pourquoi toute cette lutte si c’est pour une vie sans but. « Quand on ne sait pas où l’on va, tous les chemins mènent à nulle part » disait Henry Kissinger. C’est pourquoi, seule la redécouverte du devenir ultime de l’homme que nous appelons la promesse de la vie éternelle, est essentielle. C’est la possibilité de repenser notre rapport au monde et aux autres comme un devenir, une œuvre de croissance que nous entreprenons tous ensemble. Le temps de nos vies est compté, il est précieux et ne devrait pas être gaspillé dans l’illusion d’établir ici-bas un illusoire état de perfection ; le mal dans le monde n’est pas à la mesure de l’homme, qui n’a pas à lui seul les moyens de l’éliminer… à moins d’aggraver les choses plus encore. Les guerres identitaires ont toutes comme caractéristique d’être sanglantes et stériles. Elles ne correspondent pas aux aspirations d’unité et de paix qui se trouvent déjà dans le cœur humain.

La grande question est donc : voulons-nous vivre ensemble ? voulons-nous nous témoigner de l’estime donc chacun a droit parce qu’il est absolument unique ? voulons-nous reconnaître que le mal ne passe pas chez les autres sans nous traverser nous-mêmes. La cancel culture est plus qu’on ne le pense un cri d’appel à l’apaisement d’une intime souffrance, de consciences inquiètes, et la reconnaissance d’une dignité qui ne se calcule pas. Le meilleur de notre avenir est dans notre unité, la fraternité seule fait l’unité et la promeut.

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https://www.lefigaro.fr/vox/societe/douglas-murray-les-souffrances-provoquees-par-l-ideologie-des-minorites-seront-immenses-20201020

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/douglas-murray-on-dresse-les-gays-contre-les-heteros-les-noirs-contre-les-blancs-les-femmes-contre-les-hommes-20191115

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/bret-weinstein-tant-qu-on-n-affronte-pas-la-gauche-woke-on-ignore-combien-elle-est-dangereuse-20201217

https://www.lepoint.fr/politique/le-capitalisme-prospere-grace-au-patriarcat-14-01-2021-2409602_20.php

https://www.lepoint.fr/debats/ce-qui-se-cache-derriere-la-fragilite-blanche-25-07-2020-2385545_2.php

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/douglas-murray-l-antiracisme-est-devenu-un-racket-01-07-2020-2382673_1913.php


Père Laurent Stalla-Bourdillon