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Pourquoi notre regard est-il biaisé ? 9 biais cognitifs à connaître

Pourquoi notre regard est-il biaisé ? 9 biais cognitifs à connaître

A partir de la conférence de M.Olivier Sibony, « Prise de décision et biais cognitifs, l’exemple du Covid-19 », HEC Paris - Executive Education - 7 avril 2020. Olivier Sibony, professeur d’HEC en stratégie et politique d’entreprise (École des Hautes Etudes Commerciales), éclaire sur les biais cognitifs qui entachent toutes les réflexions et actions humaines. L’objectif de sa conférence est de faire prendre conscience des préjugés ou réflexes de pensée faussement logiques qui orientent la perception de la réalité lorsque nous l’analysons. Cette conscience des préjugés est particulièrement importante en temps de crise et en particulier avec l’épidémie de Covid-19.

1- Le préjugé d’exhaustivité de la connaissance : à partir du peu que je connais, je prétends tout connaître.
2- Le préjugé de la supériorité de l’instant (espace) sur le temps, de l’immobilité sur le mouvement : or une chose n’est connue que dans sa dynamique de développement.
3- Le préjugé de la singularité : une incapacité à s’appliquer à soi-même ce qui arrive aux autres au nom d’une différence, un préjugé d’immunité.
4- Le préjugé de la vérité par la mesure : la capacité à prévoir l’avenir en particulier à partir de la confiance du calcul.
5- Le préjugé d’imitation : le comportement d’autrui devient normatif du mien. Le mimétisme surdétermine ce que je peux faire et ce que je dois faire.
6- Le biais de l’émotion : l’émotion prime sur la raison.
7- Le biais d’une présomption de capacité de prédiction : je peux décrire ce que sera demain.
8- Le biais de confirmation fait rechercher les informations qui confirment nos représentations.
9- Le biais d’insatisfaction critique : bien ou mal gérée, une crise appellera toujours la critique.

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1- Le biais de « modèle mental » : croire connaitre le nouveau à partir de ce qui est déjà connu

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Le biais de modèle mental fait que l’on rattache les phénomènes à un modèle mental connu.
Par exemple aujourd’hui : "à quoi cette pandémie fait-elle penser ?". En Asie, cela a rappelé l’épidémie de SRAS de 2003, ce qui a sans doute contribué à une réaction forte et rapide.
En France, c’est l’épidémie de grippe de 2009 qui est revenue en mémoire, dont la gestion avait été très critiquée en raison de l’importance des moyens déployés à l’époque, jugés démesurés par rapport au risque encouru. On avait fait de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, un suppôt de l’industrie pharmaceutique. D’où une politique et des avis totalement inverses, conduisant, au début de la crise, à ne pas surréagir face à l’apparition de ce nouveau virus. Cette thèse n’a pas seulement été soutenue par les agences sanitaires, mais aussi par une partie du corps médical qui ne voyait initialement dans la COVID-19 qu’une grippe un peu particulière. Ce biais de modèle mental nous le fait comparer à une grippe alors que ce n’est pas le cas. Il s’agit du préjugé d’exhaustivité de la connaissance : à partir du peu que je connais, je prétends tout connaître.

2- Le biais de croissance exponentielle

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Selon Olivier Sibony, la croissance exponentielle est très difficile à anticiper car elle est contre-intuitive : au début de cette courbe, les observateurs pensent toujours à tort qu’elle est plate. Des chiffres peu élevés provoquent un discret fléchissement vers le haut qui ne rend pas apparent l’évolution ultérieure. C’est pourtant comme cela que commencent toutes les courbes exponentielles. La courbe est exponentielle depuis le début mais on a du mal à s’en rendre compte tant que les chiffres ne sont pas importants. On pense au début que la courbe est plate, on a du mal à s’alarmer. Le biais de croissance exponentielle nous surprend toujours beaucoup même quand on est prévenu. Il s’agit du préjugé de l’autorité de l’immobilité sur le mouvement. Cela nous fait préférer le fait statique sur son potentiel dynamique. Ainsi un chiffre de faible importance ne peut préjuger de la dynamique et de son accélération.

3- Le biais d’endogroupe et d’exogroupe

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Aujourd’hui une question est récurrente : pourquoi n’a-t-on pas tenu compte de l’expérience des autres pays ? Sans doute en raison d’un biais d’endogroupe et d’exogroupe, c’est-à-dire celui qui nous fait dire : ça ne peut pas arriver chez nous parce que notre situation est différente. C’est ce qu’ont constaté les Italiens qui, déjà confinés, jugeaient l’insouciance de Français « surréaliste ». Comment se fait-il que l’on n’imagine pas que ce qui se passe dans le pays le plus proche du nôtre ne puisse pas arriver chez nous ? De nombreux experts scientifiques ont également été touchés par cette distorsion de la pensée. Notre capacité à raisonner entre nous et les autres est immense : on se focalise sur toutes les raisons pour lesquelles nous (endogroupe) sommes différents des autres (exogroupe). Il s’agit d’une incapacité à s’appliquer à soi-même ce qui arrive aux autres au nom d’une différence, un préjugé d’immunité.

4- Le biais d’excès de confiance ou la surprécision

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Ce biais est apparu à l’occasion de l’épidémie Covid-19 lorsque les 18 meilleurs experts épidémiologistes américains se sont lourdement trompés en prévoyant de 15 000 à 25 000 victimes. Le risque a le plus souvent été sous-estimé, mais l’intervalle de confiance accordé était beaucoup trop faible. Autrement dit, l’incertitude a été fortement minorée, par excès de confiance dans les estimations qui sont beaucoup plus précises qu’elles ne le devraient. On surestime la capacité à prévoir l’avenir en particulier à partir de la confiance du calcul.

5- Le biais d’imitation

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Notre comportement est fonction de celui observé chez les autres : ainsi devant une plage salle et souillée, vous jetterez des choses, tandis que devant des plages propres vous ne jetez rien. Ou encore voir des gens prudents vous pousse par imitation à la prudence. Ce biais explique pourquoi nous avons autant de mal à nous déconfiner. Il s’agit du biais par lequel le comportement d’autrui devient normatif du mien : ce mimétisme surdétermine ce que je peux faire et ce que je dois faire.

6- L’illusion de focalisation ou l’illusion de concentration

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L’immense majorité des citoyens et des décideurs ont pensé au cœur de la pandémie qu’il était indécent de se préoccuper de l’économie, la crise sanitaire était si importante que tout enjeu économique devait passer au second plan. Pourtant, une crise économique de grande ampleur provoque aussi des victimes. Mais quand les médias passent leur temps à parler de quelque chose, il est difficile de penser à autre chose : c’est l’illusion de focalisation ou l’illusion de concentration. Les vies qui agonisent dans des hôpitaux sous respirateur ont des noms et des visages, alors que la crise économique ce sont des vies anonymes et abstraites. « Les Raisins de la colère » de Steinbeck nous rappellent que lutter contre la crise économique c’est aussi sauver des vies. Il faut apprendre à mettre l’émotion à distance pour reprendre une vie économique, afin de ne pas s’enfoncer dans une crise qui aurait des impacts désastreux. Il s’agit de vaincre le biais de l’émotion, et de retrouver un équilibre entre logos et pathos, la raison et l’émotion.

7- L’incertitude

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On peut tout prévoir et son contraire mais en réalité on n’en sait pas grand-chose. Le combat central est finalement celui de l’incertitude (incertitude sanitaire, médicale, économique). Il faut prendre conscience que l’on ne peut pas tout prévoir et l’accepter, arrêter de chercher des réponses pour se rassurer mais plutôt se focaliser sur des solutions. Il s’agit d’admettre qu’il existe de l’imprévisible (qu’il est vain de vouloir connaitre par avance). C’est le biais d’une présomption de capacité de prédiction. Or, la volonté de tout prévoir est une illusion qui trahit une peur (manque de confiance).

8- Le biais de confirmation

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Tant de tribunes dans les médias expliquent que l’épidémie nous conduit à remettre en cause nos croyances. En réalité, ce n’est pas le cas car chacun voit dans cette situation une conclusion qu’il avait déjà avant. La croyance préexiste aux faits. Tout le monde est convaincu qu’il a raison, quelle que soit la chose qu’il pense. On ignore les schémas de pensée qui vont à l’encontre de nos convictions. Le biais de confirmation me fait rechercher les informations qui confirment mes représentations.

9- Le biais rétrospectif

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Rien n’est plus facile que de regarder dans le rétroviseur et d’en tirer des conclusions. Dans la crise actuelle, on reprochera au gouvernement de l’avoir gérée comme il l’a gérée, quelle que soit la qualité de sa gestion. Qu’est-ce qui se serait passé si nous avions agi différemment ? Nous ne pouvons pas imaginer le « contre-factuel ». Il s’agit d’un biais d’insatisfaction et la situation sera toujours apprécié de façon critique.

Les 4 leçons à tirer pour gérer les biais cognitifs :

 Regarder les faits : assumer la vérité.
 Ne pas attendre les autres pour faire les bonnes choses. L’autorité de l’Etat a supprimé le leadership. Autonomie et responsabilité.
 Accepter l’incertitude : humilité. Beaucoup font des prévisions précises avec aplomb mais personne ne sait rien.
 Anticiper quand même : les plans ne servent à rien mais la planification est indispensable. Oser la confiance.
Le conférencier emprunte à Camus dans « La Peste » ce qui pourrait être la 5ème leçon, celle de garder espoir : « Pour le moment, il voulait faire comme tous ceux qui avaient l’air de croire, autour de lui, que la peste peut venir et repartir sans que le cœur des hommes en soit changé ».

Pour approfondir :
« Vous allez commettre une terrible erreur ! Combattre les biais cognitifs pour prendre de meilleurs décisions », Olivier Sibony (Clés / Champs)
« Vous allez redécouvrir le management ! 40 clés scientifiques pour prendre de meilleures décisions », Olivier Sibony (Flammarion)


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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