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Prenez soin de votre âme

Le hiatus entre les sociétés modernes et l’Eglise catholique tient au fait que la modernité perd le sens de l’âme humaine sous les effets d’un formatage anthropologique, quand l’essentiel de l’apport de la Révélation chrétienne tient précisément à la dimension spirituelle de la nature humaine.

La vie spirituelle est la grande perdante de notre modernité. Avec elle, la richesse poétique et symbolique de l’existence est négligée. L’homme moderne est obnubilé par son ventre (sa survie), son nombril (son égo) et son sexe (la jouissance), tandis que la Révélation lui parle de son âme et des conditions de sa bonne santé. Nous ne parlons plus de la même réalité lorsque nous évoquons l’être humain.

Aux besoins symboliques de l’âme, sont venus se substituer les biens matériels qui ne la comblent pas, ouvrant un processus de surconsommation et d’insatisfaction permanente. Les nouveaux outils technologiques ont supplanté les créations poétiques et atrophié la pensée symbolique qui réjouissent l’âme et apaisent ses désirs. Ils ont envahi l’espace physique et font écran au monde réel. En étant sollicitée à l’extrême, l’attention se perd dans une multitude de signaux électroniques et la vie intérieure perd son centre. En effet, l’âme vit d’un recueillement dans l’attention. « L’attention est aux êtres raisonnables ce que l’instinct est aux animaux » écrivait saint Basile de Césarée (329-379).

Jean-Guilhem Xerri, dans son livre « Prenez soin de votre âme » (Ed.Cerf) écrit :

La place prise par l’hyperconsommation et le bougisme, l’hyperactivité dans nos vies est souvent associée à une crise de sens, alimentant les maux les plus profonds de notre société, de la crise écologique à la radicalisation politique ou religieuse. De fait, notre société va mal, traversée par des violences et des revendications identitaires. Les individus sont de plus en plus fragiles, construisant leur identité profonde sur un être-de-consommateur et des relations familiales de plus en plus précaires.
Cette société, par la pression de l’hyperactivité et de la consommation, engendre des dépressifs. L’impératif de performance, nouvelle règle de la société du travail, génère burn-out et dépressions. Le professeur Han diagnostique que « l’excès d’accroissement des performances mène à un infarctus de l’âme ». Et il conclut : « Par manque de repos, notre civilisation court à une nouvelle barbarie. »
Dans la tradition de la psychiatrie phénoménologique, l’un des symptômes caractéristiques de la dépression est « de ne plus avoir de temps », révélant une impasse existentielle. « J’ai plus le temps de rien, le temps passe et j’ai l’impression de n’avoir rien fait, j’en peux plus », me disait une patiente. Sentiment d’urgence, injonction de « pouvoir », le temps s’accélère, l’économie menace, impossible de se donner du temps, de se poser. (…)
En 1969, dans Autopsie de la Révolution, Jacques Ellul écrivait : « Le plus haut point de rupture avec cette société technicienne, l’attitude vraiment révolutionnaire, serait la contemplation au lieu de l’agitation frénétique. » Narcissisme, hédonisme, hyperactivité, violences, perte de sens, frustration constituent des éléments d’un diagnostic partagé de la société. Elle est habitée par ces figures d’homme matérialiste, lobotisé par la sous-culture médiatico-marchande, sans essence, indistinct des animaux et des robots, et qui sont les jouets des déterminismes biologiques et psychologiques. Ces considérations générales sur la « société » ne sont pas que pure sociologie. Elles ont des traductions cliniques sur les personnes. »

Le philosophe Eric Fiat, dans Ode à la fatigue, paru en 2018 (Ed.L’Observatoire) écrit :

« D’abord plus morales que physiques, nos fatigues sont celles d’Hommes qui peinent à comprendre le monde dans lequel ils vivent, où tout s’accélère et où la sensibilité est l’objet de sollicitations permanentes, sans possibilité de trouver un lieu de repos où calmement s’approfondir. (…) Pareilles mauvaises fatigues ne méritent pas qu’on les chante, mais dénonce. (…) Mais s’il n’est pas au sens strict de droit à la paresse, il en est un au repos, à la contemplation, au loisir studieux – ce que les Anciens nommaient l’otium, la disponibilité à l’essentiel. »

L’otium a donné en français, l’oisiveté. Ce mot est habituellement synonyme de paresse, mais l’oisiveté est bien cet espace nécessaire qui nous permet de nous recentrer à l’intérieur de nous-mêmes et de nous rendre disponible à l’essentiel.

Une authentique écologie humaine appelle donc une redécouverte de la dimension spirituelle de l’être humain, ainsi qu’un effort renouvelé de son attention aux réalités essentielles. C’est à partir de l’âme, universellement présente en toute personne humaine, que les sociétés modernes pourront sortir de l’impasse des catégories dans lesquelles elles se fragmentent et s’opposent. Ce ne sont pas les apparences visibles de son corps qui décident de l’humanité, mais la présence universelle de l’âme qui fonde sa dignité. La foi chrétienne va sauver cet acquis des sociétés modernes et servir l’unité de la famille humaine par-delà les différences culturelles, ethniques et religieuses.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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