Un journaliste me disait un jour, début 2023, quelques mois après la sortie de ChatGPT : « intéressez-vous à ce sujet car les technologies d’IA vont bousculer toutes les institutions qui vivent d’une rente de connaissances ».
Il n’y a pas que des connaissances dans la vie de l’Eglise, il y a des rencontres, des liturgies, des sacrements et beaucoup de lieux de partages, mais il est certain qu’il y a aussi de la connaissance, de l’histoire, et l’enjeu essentiel du sens donné à l’existence.
Avec tous ceux qui sont réunis au Sommet de Paris pour l’IA, l’Eglise catholique de France sait que la révolution technologique va modifier notre façon de vivre, de travailler, et d’entrer en relation les uns avec les autres. L’intelligence artificielle (IA) est désormais intégrée aux moteurs de recherche, aux bases de données juridiques, aux outils d’aide à la décision clinique, et son potentiel est déjà bien visible dans l’éducation, … qu’en sera-t-il pour les religions ?
Compte tenu de leur sensibilité à l’être humain, à sa vie intérieure, sa vie psychique et spirituelle, à la dimension de vocation de sa vie et d’accomplissement de sa personne, les religions sont conscientes des dangers et des risques associés aux types d’IA les plus performants, qui peuvent induire une confusion en l’humain et la machine.
C’est en testant elle-même ces outils, que l’Eglise catholique parvient à se faire une idée précise des possibilités et des limites. C’est en ce sens qu’un groupe de travail unissant le S.P.I et la CEF s’est formé pour tester les modèles de langages, et faire monter en compétences les différents acteurs de la vie de l’Eglise catholique.
La mission du Service pour les Professionnels de l’Information m’a conduit à observer ce qu’il faut appeler le « magistère de la parole » dans l’espace publique : qui parle ? qui écoute qui ? et comment se forme l’opinion ? Quelle place ces technologies vont-elles prendre ? Leur reconnait-on aujourd’hui un vrai magistère, une autorité qui déclasse le magistère traditionnel des médias ? La puissance de diffusion, leurs audiences considérables rendues possible par les 6 à 7h que nous passons en ligne chaque jour, donnent à penser qu’il y a bien un magistère des technologies.
Alors, nous nous sommes posé une question : les IA génératives seront-elles demain le premier prescripteur de connaissances religieuses ? Vont-elles conditionner toutes les représentations de l’opinion sur les religions ? Vont-elles également ravir le magistère de la parole ?
L’Eglise catholique peut trouver dans ces nouveaux outils numériques une capacité inédite d’exprimer son propre point de vue. Selon des paramétrages précis, il est possible de leur donner une tonalité pastorale voulue.
Dans un monde où la quête de sens et le désir de répondre aux questions existentielles restent fondamentaux, l’IA présente des moyens nouveaux pour faciliter l’accès aux œuvres des grands auteurs spirituels, et “personnaliser” un accompagnement.
Le récent Synode de l’Eglise catholique a souligné l’importance de son engagement dans l’espace numérique. On lit au n°113 :
« La diffusion de la culture numérique, particulièrement évidente chez les jeunes, modifie profondément la perception de l’espace et du temps, influençant les activités quotidiennes, les communications et les relations interpersonnelles, y compris la foi (…) Cette réalité nous prend au dépourvu et nous oblige à consacrer des ressources pour que l’environnement numérique soit un lieu prophétique de mission et de proclamation. Les Églises locales devraient encourager, soutenir et accompagner ceux qui sont engagés dans la mission dans l’environnement numérique. »
Et cet enjeu missionnaire est encore clairement présent au n°149 :
« La culture numérique constitue une dimension cruciale du témoignage de l’Église dans la culture contemporaine, ainsi qu’un champ missionnaire émergent. C’est pourquoi il est nécessaire de veiller à ce que le message chrétien soit présent en ligne d’une manière fiable sans que son contenu ne soit déformé de manière idéologique. »
Alors ces outils trouvent tout leur sens s’ils permettent d’aller ultimement à la rencontre d’autres personnes. Loin d’isoler, les capacités des IA génératives peuvent encourager à l’écoute des personnes, à la découverte de l’autre et favoriser des occasions de partages.
Si l’Eglise catholique voit le potentiel de l’IA, elle sait la possibilité qu’une confusion s’installe entre les IA et de véritables personnes. Cela va exiger d’accroitre la visibilité des institutions humaines qui commandent ces outils. Si l’Église veut inspirer les consciences, il faut qu’elle occupe ce terrain.
Elle se réjouit de pouvoir compter sur les conseils de personnalités compétentes dans ces domaines, sur les avis d’experts, et c’est avec eux que nous allons à présent discuter.