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Sondage sur les Français et « Dieu » … en vérité

Selon, un sondage Ifop-Fiducial réalisé pour Sud Radio [1], le nombre de Français déclarant croire en « Dieu » continue de diminuer : ils seraient 44% en 2023, contre 56% en 2011 et 66% en 1947. Ce sondage confirme la « sécularisation » avancée de la société française. Ce terme signifie communément que les religions ont moins de place dans la vie des Français. La référence à Dieu s’efface dans la vie de la société, dans les discours, dans la sphère médiatique de l’information. Cette sécularisation s’expliquerait, non seulement par la concurrence du bonheur promis par les progrès de la modernité, mais encore, par les faibles transmissions intergénérationnelles [2]. Non seulement la société porte moins de crédit aux religions, mais les personnes elles-mêmes transmettent moins leur patrimoine culturel et spirituel.

Comment souvent dans les enquêtes, les questions sont déterminantes. Or, les sondages mesurant cette désaffiliation religieuse, omettent un préalable essentiel : de quoi « Dieu » est-il le nom ? Qu’est-ce que l’évocation de « Dieu » peut bien signifier aujourd’hui ? Il y a là une réelle difficulté.

L’idée de « Dieu »

La représentation de « Dieu » peut-être très différente selon les personnes. Que mettez-vous derrière pour que ce ne soit pas qu’un concept ? S’il s’agit d’un Dieu omnipotent, gardien d’un système juridique tel que le décrivent les religions traditionnelles, selon des schémas mentaux séculaires, il est presque logique que les esprits de nos contemporains ne consonnent plus avec ces croyances. Il se pourrait donc que la désaffiliation religieuse de la société exprime positivement le rejet des formes archaïques du religieux. S’il s’agit d’un Dieu tendre et miséricordieux, prenant soin des pauvres et des petits, consolateur des peines et des pleurs, la disposition des personnes est toute différente. C’est donc que les institutions religieuses ne parviennent pas à renouveler l’image qu’elle véhicule de la religion et de « Dieu ». Loin de susciter l’adhésion, elle inspire l’aversion. C’est particulièrement le cas du catholicisme dont le message d’espérance, d’amour et de paix ne parvient pas à déjouer les représentations tenaces d’une religion intolérante, méprisante et hypocrite, à l’égard de ceux qui ne répondent pas d’un ordre requis.

Il faut donc, avant de dire si l’on croit en « Dieu », se mettre d’accord sur ce que recouvre ce mot. Chacun projette sur les autres l’apriori de sa propre idée de « Dieu ». Or rien n’est moins sûr.

Pour préciser ce que désigne le mot « Dieu », il convient de revenir aux aspirations religieuses des personnes. Elles ne disparaissent pas. Elles sont en nous sans que nous n’y soyons pour rien, et chacun découvre en son âme des aspirations étonnantes : des désirs de paix, de bonheur, d’unité… « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir » écrivait les évêques lors du Concile Vatican II, (GS 16). « Cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer, d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur ... C’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme. »

C’est donc à partir des aspirations profondes qui sont en nous, que l’on peut préciser ce dont « Dieu » est le nom. Il y a un conflit entre les représentations institutionnelles négatives des religions et les aspirations au bonheur des gens, aspirations spirituelles requérant une grande liberté. En effet, les religions sont davantage perçues comme des gardiennes de vérité, contraignant les libertés et imposant leur vérité. Les gens rejettent ces systèmes religieux seulement juridiques et aspirent à faire prévaloir leur liberté sur l’obéissance jugée servile.
Si le besoin de liberté prime la vérité, c’est en réaction au fait que les religions sont allées trop loin dans la soumission. Il faut faire à nouveau de la vérité, une quête et une question essentielle. En un sens, il faudrait commencer par sortir de l’indifférence envers la vérité.

Le visage de la vérité

Le fait que nos sociétés modernes ne s’embarrassent plus de croire en « Dieu » revient donc à ne plus faire de la vérité, un critère décisif dans l’existence. Notre époque délaisse aisément la référence à Dieu pour évacuer aussi la question de la vérité. A la question « croyez-vous en Dieu ? », il faudrait substituer la question « croyez-vous en la vérité ? » Aussi inconfortable que soit cette étrange question, elle a le mérite de soustraire « Dieu » aux images caricaturales ou enfantines que nous faisons de lui. Car au fond, si Dieu importe vraiment, c’est parce que la vérité existe. La vérité est bien le nom de Dieu, et si Dieu est essentiel à la vie des hommes, c’est parce qu’ils ne peuvent vivre et s’épanouir que dans la vérité, comme un air pur que l’on respire.
Notre époque a précisément besoin d’une grande respiration.

Cette affirmation, qui est la grande question contemporaine, n’est-elle pas aussi la plus évitée ? Nous voudrions un retour au « sacré », mais nous n’osons pas le nommer. Que peut-il y avoir de plus sacré que la vérité ? La vérité du sens de la vie continue de s’effacer derrière le « sacré » de notre modernité : la liberté. Faut-il rappeler ici l’affirmation selon laquelle « la vérité vous rendra libres » [3].

Seule la vérité en effet peut libérer des erreurs et rendre vraiment libre. Jusqu’où la vérité est-elle vitale ? Pour chacun personnellement ? Pour une société dans son ensemble ? Sommes-nous encore en quête de vérité sur la signification et sur la destinée de notre condition humaine ? Que perd-on en perdant la soif de vérité ? Jusqu’où l’absence de vérité est-elle supportable ? Quand devient-elle insupportable ?

Étonnamment, ce sont nos outils technologiques, d’intelligence artificielle générative qui nous renvoient à cette question de fond. Des outils capables d’une production de masse de contenus artificiels, de faux, nous remettent devant la question essentielle : pouvons-nous nous passer de vérité sans risquer l’effondrement ?

La sécularisation de la société signe le crépuscule de la question de la vérité. Mais paradoxalement, cela ne constitue pas tant une catastrophe, qu’une nouvelle occasion de restaurer dans les consciences la question de la vérité, comme puissance de vie.
Le christianisme a fait se rejoindre la question de Dieu et la question de la vérité en une seule réponse. C’est dans une personne, la personne de Jésus, que Dieu se dévoile en vérité, que l’homme se dévoile en vérité. Ce n’est pas de « Dieu » dont les hommes ont besoin, mais de vérité sur eux-mêmes, et sur leur destinée.
Paradoxalement, ce sont donc aujourd’hui nos machines, fruit de notre émancipation par les techniques, qui nous remettent frontalement devant la question de la vérité. S’il semble possible de pouvoir vivre sans Dieu, sans vivre plus mal que les autres, la question rebondit : « est-il possible de vivre sans vérité ? Quels seraient les risques encourus ? »

Nos sociétés sont peu à peu poussées vers l’abîme de la vérité. Tant est si bien que la marginalisation croissante des religions dans la société interroge la marginalisation de la question de la vérité. La sécularisation opère donc aussi une purification de la notion de « Dieu » pour la rendre à sa signification la plus profonde. Ce n’est pas après l’image d’un « Dieu » idéalisé et abstrait qu’il faut courir, c’est vers la vérité qu’il faut se tourner. Or, cela demande un engagement de la pensée. En cela, tout un renouveau est devant nous. La vérité frappe à notre porte à travers les défis écologiques, numériques et finalement anthropologiques. Qu’est-ce que l’homme en vérité ? N’est-ce pas lorsqu’il vit de la vérité que l’homme paraît en vérité ?

La sécularisation de la société telle qu’elle est mesurée par les enquêtes, confirme plus qu’il n’y paraît le rendez-vous permanent que toute personne et toute société, a avec la vérité.

Notes :

[2« Immigrés et descendants d’immigrés », édition 2023 (Insee).

[3Evangile selon saint Jean, chapitre 8, verset 32


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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