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Vous avez dit « Pentecôte » ?

En grec ancien, cela veut dire « 50ème jour ». Selon la Torah, la fête de Chavouot (don de la loi à Moïse) doit systématiquement tomber 50 jours après Pessah (Pâques). Il est ô combien flagrant que le calendrier chrétien repose sur un substrat juif, à l’insu hélas de la majorité des chrétiens et des juifs eux-mêmes [1].
Jésus est juif. Il était un authentique pratiquant. Les chrétiens ont visiblement encore du mal à être à la hauteur du projet messianique de Jésus. La logique de domination et de prééminence religieuse dans l’espace et le temps prime encore chez de nombreux chrétiens. Ils ne perçoivent pas encore suffisamment combien Jésus répond en tant que « Messie », d’une logique de restauration de la nature humaine et non de la création d’une nouvelle religion concurrente du judaïsme. L’heure est révolue de penser les religions dans le jeu concurrentiel de leurs ambitions dominatrices pour les interroger sur leurs réponses à la consolation de l’humanité et à la restauration dans la nature humaine de ce qui est blessé et produit dans l’histoire tant de maux et de souffrances. Qui pourrait douter que le bonheur de l’humanité passe d’abord par un processus de guérison ou de libération intérieure ? Les religions et philosophies orientales elles-mêmes sont animées par cette évidence qu’un éveil ou une purification sont nécessaires pour que paraisse enfin la nature humaine dans sa parfaite beauté.

Avec le don de l’Esprit-Saint à la Pentecôte, l’histoire parvient au point décisif de l’intégration des païens à l’Alliance. Ce n’est évidemment pas une autre religion qui naît, mais la possibilité offerte à toute personne d’entrer dans la Promesse faite au peuple d’Israël, et de recevoir dans l’Esprit-Saint, la rénovation intérieure annoncée par les prophètes. « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur » annonçait Dieu par le prophète Jérémie (31,33). La Résurrection de Jésus est l’évènement décisif qui atteste que cette « loi de vie » est désormais inscrite en sa personne. Elle est donc dans la nature humaine que tous les êtres humains ont en partage. La mort est vaincue, la vie est manifestée. La vie divine est répandue dans la nature humaine par l’Esprit qui inspire l’esprit de l’homme.

Le dialogue interreligieux est l’un des enjeux fondamentaux du XXIème siècle. Le véritable rôle politique des religions ne doit plus passer par une ambition de souveraineté politique comme nous le voyons hélas encore dans le monde, mais par une nouvelle considération pour notre commune nature humaine menacée tant par les idéologies que les technologies. Dans ce monde interconnecté, la pertinence des religions doit s’affirmer dans la sphère publique, à partir de la considération pour la nature humaine, transcendant les cultures, les langues et les religions. Ce n’est ici rien d’autre que l’enjeu essentiel de la fraternité. Elle doit inspirer la spiritualité de ce siècle, qui sera fraternel ou s’exposera à d’insondables périls.

La fête de la Pentecôte contient l’universalisme d’un salut gratuitement offert à quiconque le reçoit dans l’Alliance. Un salut qui excède la seule temporalité de l’histoire pour rejoindre l’architecture invisible et intemporelle de la nature spirituelle de tout homme. La « vie » n’est plus seulement cette biologie qui précède la mort, mais ce qui en nous ne peut plus mourir. Nous parlons ici de normes ontologiques que notre époque a tant de mal à entendre, préférant que l’être humain n’ait pas à répondre d’une nature spécifique. L’humanité entière est concernée par la révélation que porte le peuple juif : elle y trouve la clé de son existence même.
Le christianisme moderne demeure encore trop cérébral et hanté par des tentations d’emprise politique. Son champ de mission se trouve désormais dans le souffle et l’inspiration qui permet à chaque personne de donner du sens à son existence. Le judaïsme a ce grand atout d’être une religion incarnée dans des rites familiaux et des traditions, gardiennes d’une signification spirituelle essentielle. L’heure est venue de comprendre que mieux connaître le judaïsme est fondamental pour apprécier authentiquement l’œuvre du Christ. Le maintien vivant d’Israël et de ses traditions est fondamentalement une bonne nouvelle pour les chrétiens. L’Eglise reçoit de Dieu le Peuple des frères ainés. Le chemin de l’étude est ouvert, qui appelle l’amitié. Et Dieu la donne aussi en ces temps troublés. Le Peuple d’Israël restera jusqu’à la fin des temps pour le bien de l’humanité le témoin de l’appel divin qui retentit au cœur de l’homme.

Il reste un travail considérable à réaliser pour rencontrer les autres religions d’un point de vue spirituel et non pas politique. Avec le théologien anglican Alan Race [2], il faut distinguer quatre manières d’envisager le rapport religieux à autrui : l’exclusivisme, le pluralisme, l’inclusivisme et l’universalisme. Le catholicisme est passé en quelques décennies de l’exclusivisme théologique et pratique à une forme plus ouverte portée précisément sur l’action divine de l’Esprit dans l’homme par la foi, dont les sacrements sont l’expression visible et efficace. Afin de répondre à sa vocation, le christianisme doit encore poursuivre sa conversion en retrouvant un ancrage biblique et le témoignage de l’orthodoxie. Toutes les traditions ont besoin d’être gardées les unes par les autres. « Les croyants ont besoin de trouver des espaces où discuter et agir ensemble pour le bien commun et la promotion des plus pauvres » expliquait le Pape François. Il ne s’agit pas de vivre plus light ou de cacher les convictions qui nous animent afin de pouvoir rencontrer les autres qui pensent différemment. […] Parce que, plus une identité est profonde, solide et riche, plus elle tendra à enrichir les autres avec sa contribution spécifique » [3] rappelait encore le Pape François [4].

« Aujourd’hui dans le monde, il y a beaucoup de discorde, beaucoup de divisions » s’est inquiété François dans son homélie du jour de la Pentecôte. « Nous sommes tous reliés et pourtant nous nous trouvons déconnectés les uns des autres, anesthésiés par l’indifférence et opprimés par la solitude ». Dans son encyclique sur la fraternité, Fratelli Tutti, il exhortait les religions à donner le témoignage de l’unité : « Nous avons le devoir d’offrir le témoignage commun de l’amour de Dieu envers tous, en travaillant ensemble au service de l’humanité ». [5] Un cheminement de paix est possible entre les religions. (…) L’amour de Dieu est le même pour chaque personne, quelle que soit sa religion. Et si elle est athée, c’est le même amour. Au dernier jour et quand il y aura la lumière suffisante sur la terre pour voir les choses telles qu’elles sont, il y aura des surprises ! ». [6] Telles sont surement les surprises de la Pentecôte.

Notes :

[1On écoutera avec intérêt l’échange qui a inspiré cette chronique, entre Emmanuel Bloch, spécialiste de philosophie juive et Marc Rastoin, prêtre catholique : « À qui s’adresse la Révélation ? »
https://akadem.org/magazine/magazine-culturel-2022-2023/a-qui-s-adresse-la-revelation/46732.php

[2Alan Race. Christians and Religious Pluralism : Patterns in the Christian Theology of Religions. Pp. xiv + 176. (London : SCM Press, 1983.)

[3Exhort. ap. Querida Amazonia (2 février 2020), n. 106.

[4François, Lettre encyclique Fratelli Tutti sur la fraternité et l’amitié sociale, 2019, n°280-282

[5Déclaration commune du Pape François et du Patriarche Œcuménique Bartholomée, Jérusalem (25 mai 2014), n. 5 : L’Osservatore Romano, éd. en langue française (29 mai 2014), p. 11.

[6Du film Le Pape François – Un homme de parole. L’espérance est un message universel, de Wim Wenders (2018).


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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