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La tentation moralisante du politique

La République n’est pas un système religieux mais un système politique. Nul n’en doute. Elle organise la vie du corps social et n’a pas d’autorité pour statuer sur la destinée ultime des citoyens. Elle peut ainsi rassembler « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas ». Mais en réalité, c’est une perception athée du réel qui, sous couvert de laïcité, préside à la vie politique. Elle a pour corollaire de facto une prise de position également politique : l’éviction de toute considération pour la dimension spirituelle de la nature humaine. Il s’en suit que la société politique est maintenant traversée par des convulsions sinon religieuses du moins très moralisantes, révélant la tentation de combler par la morale le manque créé par le refus de réflexions anthropologiques et philosophiques. L’exercice politique implique pourtant d’avoir conçu une certaine idée de l’homme et de sa destinée. Comment en effet organiser une société digne de l’homme sans une idée claire des conditions requises pour que ses membres puissent s’accomplir ? Mais qu’est-ce que l’accomplissement de la personne ?

Ainsi l’abandon par la classe politique de la question anthropologique, où l’homme ne serait ni animal, ni une machine, porte atteinte à sa capacité d’organisation d’une société à la mesure de sa dignité. Préférant esquiver l’énigme de la nature humaine, les responsables politiques se réfugient dans des postures d’autorité. Ils ont, en réalité, perdu la conscience de ce qui spécifie la personne humaine : sa finalité. La connaissance de l’humain dans sa nature spirituelle est une nécessité minimale pour conserver le respect de l’humain dans la société. Il est urgent de le rappeler, alors que hélas, la vie politique contemporaine est portée par une vision toute matérialiste de l’homme et promeut une religion de l’homme sans finalité. Un parallélisme des formes entre politique et religion se fait jour assez nettement, lorsque la République développe ses propres dogmes (le bonheur par le progrès), dépêche ses prédicateurs médiatiques (un ministre a toujours raison), sacrifie à des valeurs divinisées (la santé prime l’économie), et désigne des victimes sacrificielles (les ouvriers, les soignants, les personnes âgées, les embryons ou les fœtus porteurs d’anomalies chromosomiques…)
Deux domaines semblent justifier une injonction moralisante : le respect de l’autorité civile et le respect de l’environnement. Une société régulée et une biosphère viable conditionnent notre existence même. La première s’incarne dans l’affirmation par le Président Macron, en lutte contre les « séparatismes », de la supériorité des lois de la République sur les dogmes religieux. La seconde se dévoile dans les postures moralisantes d’écologistes édictant des interdits au nom de la, protection de l’environnement. Dans les deux cas, la dialectique du permis-défendu est à l’œuvre. Selon cette logique binaire, il s’agit d’incarner la vertu, d’être le gardien du bien et de veiller à l’ordre juste pour tous. Il devient possible de dénoncer comme un « mal » tout ce qui s’oppose au primat de la nature sur la vie de l’homme. Précisons encore ces deux formes de religiosité politique.

Faut-il croire dans l’antique religion des dieux de la cité ?

Le discours du Président Macron sur la République au Panthéon, le 4 septembre 2020, ne pouvait que nous rappeler qu’il porte le nom d’un préfet du prétoire sous l’empereur Tibère. Il y avait dans son invocation de la République quelque chose de romain. Dans sa façon de penser la relation entre les religions et "la République", nous retrouvons le schéma de l’attitude des Romains par rapport aux religions de leur temps : elles font ce qu’elles veulent pourvu qu’elles ne remettent pas en cause l’autorité de l’empereur (et sa divinisation). On peut aussi penser à la rhétorique de Symmaque, préfet du prétoire au IVème siècle, qui adjurait l’empereur de ne pas mettre à bas les dieux de l’ancienne religion romaine parce que celle-ci (peu important l’existence même de ces dieux) était le ciment de l’empire. Les dieux d’Emmanuel Macron ne sont plus les idoles romaines, ce sont les principes des Lumières. Ils donnent à la laïcité un aspect messianique qui comble les laïcs les plus intransigeants. Du coup, les religions, qui sont le signe d’un inaccompli dans l’homme, sont complètement rejetées hors du champ politique et plus encore dépréciées. Il n’est question de faire référence à "un dieu" qu’avec une minuscule et toute référence à la transcendance de l’homme est occultée. On comprend mieux pourquoi le Président a laissé filer les « audaces » de certains élus de sa majorité dans le débat sur la bioéthique. Que valent les interdits lorsqu’il n’existe plus de finalité propre à la nature humaine ? Seul compte désormais l’environnement social ici et maintenant, régi aux dépens de la liberté de conscience des citoyens. L’autorité du gouvernement s’empare naturellement du principe de laïcité pour que priment les valeurs de la République et que soient réduites la légitimité morale et la contribution sociale des cultes. « Liberté, Egalité, Fraternité » devient le mantra d’une autorité politique en manque de lucidité sur la seule notion qui pourrait en inspirer le respect : la dignité de la nature humaine.

La nature a-t-elle le pouvoir de nous soumettre ?

Le courant écologiste ne se revendique pas, quant à lui, de l’autorité républicaine mais bien plus profondément de l’autorité de l’environnement et se targue d’être le gardien du patrimoine naturel universel. Il invoque donc une autorité remontant au principe originel de tout sans lequel nous n’existerions pas et à ce titre il s’autorise à poser des interdits pour tous. Ce qui contrevient à son idée d’un ordre juste et bon pour la nature est dénoncé. L’être humain n’a pas de droit spécifique puisqu’il n’a pas non plus de nature spécifique. Il ne saurait revendiquer aucune supériorité de type culturel ou social et encore moins spirituel : plus de café en terrasse chauffée, plus de chasse, plus de sapins de Noël en attendant d’autres injonctions. Les droits de la nature, des arbres aux animaux, sont en cours de rédaction … Les personnes sont réduites à n’être que des citoyens obéissant à la doctrine et seront demain technologiquement surveillés et tracés par l’autorité verte. Toujours suspects d’être des pollueurs coupables et de ne pas assez respecter l’environnement, les citoyens sont sommés de revenir à l’état de nature. Une nouvelle milice urbaine verra-t-elle le jour si des maires imposent des moyens de transports ? La spirale exigeant toujours plus de pureté écologique ne sera alors qu’une forme moderne d’un puritanisme dont l’histoire a montré les dérives dangereuses.

Peut-on encore faire droit à l’intelligence du christianisme ?

Dès lors qu’on lui dénie la spécificité de sa nature humaine, l’homme devient le jouet de l’autorité politique usant de la force publique ou se trouve dissous dans le grand tout indifférencié de la nature. C’est ainsi que la société française est traversée par ces deux formes archaïques du religieux : la religion des dieux de la cité et la religion de la nature. Il n’est plus question de vocation de la personne, ni de sa destinée. Comment en sommes-nous arrivés là ? Le simple fait d’avoir collectivement renoncé à l’héritage de la foi chrétienne et à son horizon de sens a suffi à laisser prospérer ces deux formes d’idolâtries. Du même coup disparaissent le respect des consciences et la dignité de la personne pourtant constitutifs de notre civilisation.
Ce n’est pas tant l’effacement de la visibilité du christianisme qui est inquiétant, mais ce qu’il signifie en termes de considération pour la capacité spirituelle de l’homme, si difficile à faire valoir. Son pouvoir d’exercer librement des choix et d’édifier une société basée sur la confiance est aujourd’hui remis en question.
Ainsi pris entre la force de l’autorité et l’autorité de la pureté, il nous faut nous inquiéter et retrouver le sens juste de ce que signifie notre présence sur terre pour un temps si limité. Si le respect de l’environnement et l’édification d’une société régulée sont sans contestation possible des nécessités objectives de la vie, il reste que seul l’accomplissement de l’être spirituel est une véritable finalité. Faire primer la nature ou la société sur les personnes reviendrait à confondre les moyens et la fin et conduirait inévitablement à la dégradation de l’une et à l’effondrement de l’autre. L’Eglise catholique ne peut qu’observer avec peine cette crispation moralisante, là où elle professe un horizon heureux de la vie humaine et une Révélation qui affirme la dimension transcendante de toute personne.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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