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Seule la considération vaincra l’antisémitisme

L’antisémitisme se traduit habituellement par des préjugés et des interprétations diffamatoires, des attitudes haineuses, des agressions verbales ou physiques à l’encontre de personnes qui appartiennent ou sont supposées appartenir à la communauté juive. Nom de famille ou prénom, traditions ou pratiques religieuses, modes de vie, apparence physique sont les cibles d’expressions méprisantes. Qu’est-ce qui peut bien susciter une telle haine ? Est-ce la conscience de l’antériorité du judaïsme sur les autres traditions ? Et si c’était de manière plus inavouée la conviction refoulée qu’en dépit de sa singularité, il contient, en réalité, une proposition universelle ?

Cette universalité du judaïsme, que respire le christianisme se trouve dans la promesse faite à Abraham, dans la foi de Moïse et dans l’attente d’un Messie dont la signification dépasse le périmètre des seules communautés juive et chrétienne. S’il est vrai que cette promesse porte sur la restauration et l’accomplissement de la nature humaine, alors elle s’étend à toute chair, c’est-à-dire à toute personne humaine. Devant tant de désastres humains, qui ne désirerait la guérison de l’humanité ? Il ne s’agit donc pas d’une universalité d’adhésion de tous à la communauté juive, (les juifs ne recherchent pas les conversions au judaïsme), mais de l’accueil par tous et partout de ce que cette tradition spirituelle partage de sa foi au bénéfice de l’humanité entière. La question revient à interroger la singularité de la foi du peuple juif et la vérité qu’elle contient. Et c’est là sans doute, le noeud du problème.

Ayant reconnu en Jésus le Messie promis à Israël, les chrétiens attestent de la vérité de la promesse faite au peuple juif. Dans la foi de son baptême, un chrétien a reconnu en Jésus la « Gloire d’Israël son peuple et la lumière pour éclairer les nations ». Les chrétiens, en reconnaissant la portée universelle de la venue du Messie, peuvent davantage préserver la foi d’Israël de l’étrange singularité où la société tend à l’enfermer. Est-il digne de tolérer le judaïsme dans la société française seulement au titre d’un particularisme religieux sans jamais s’intéresser au fond de son message ? Il convient de regretter profondément cette attitude, car ce silence participe de la possibilité de ne pas se sentir concerné par l’énoncé de la foi juive. Sans même songer à une quelconque adhésion de foi, on doit reconnaître la richesse inouïe que donne au judaïsme, la profondeur et la qualité de son questionnement, un questionnement vital pour l’humanité !

Comment se fait-il que la société française ne s’intéresse plus ou si peu à la signification des textes bibliques et à la manière dont les juifs les comprennent et les commentent ? Considère-t-elle, comme s’en inquiétait Catherine Chalier dans son introduction à « Lire la Torah », que ces textes ne devraient être étudiés « qu’avec les outils rationnels et critiques, pour soustraire leur objet d’étude à tout statut exceptionnel, lutter contre son emprise aliénante sur les intelligences et contre ses conséquences néfastes dans le domaine moral et politique, en fragilisant de façon décisive la source même dont ces dernières proviennent. »

La lecture politique du judaïsme et du religieux en général s’arrêtent aux critères communautaires. Les conceptions religieuses de notre époque se sont hélas fixées sur des questions de préceptes et d’interdits, qu’elles ont totalement oublié le véritable enjeu du sens de la vie et de la mort, du rêve d’unité et de paix. Les religions ne sont pas là pour contraindre, mais pour ouvrir l’intelligence au sens transcendant de l’existence, éveiller l’esprit humain à ce qui lui demeure et demeurera à jamais inconnaissable. Nos sociétés modernes, en se refusant à interroger le mystère, se recroquevillent sur des interprétations étroites et pauvres des religions, les réduisant à des orthopraxies tolérées mais souvent moquées. Elles s’estiment quittes avec les religions lorsqu’elles autorisent le libre exercice du culte. Mêmes les chrétiens ne pourront rien annoncer à leurs contemporains du sens de leur foi en un juif, Jésus, s’ils ne font pas l’effort d’expliquer en quoi les prophéties et l’histoire d’Israël éclairent le mystère de notre nature humaine.

Il est triste et affolant de voir la permanence de l’antisémitisme se nourrir d’une ignorance persistante. Il est désolant et inquiétant de voir la société française incapable d’encourager une connaissance citoyenne des religions. Notre triste histoire à l’égard du judaïsme au siècle dernier, n’appelle-t-elle pas une considération plus grande à sa pensée et sa culture ? N’y a-t-il pas aujourd’hui une grave responsabilité sociale et politique dans l’antisémitisme en France, par l’effet de ce déni de curiosité, de considération sincère, c’est-à-dire de culture et d’esprit, qui fait que les jeunes Français ne sont pas initiés aux sens spirituels des traditions religieuses ? L’approche seulement sociale n’est pas suffisante pour réjouir les intelligences et les éveiller à la joie du dialogue, afin que dans le dialogue, elles éprouvent la vraie vie.

Si l’Etat français voulait lutter davantage contre l’antisémitisme, il ne se contenterait pas de donner des gages de protection à une communauté, risquant de renforcer haine ou jalousie ; il oserait appeler les citoyens à une appropriation réciproque des traditions, seule capable de faire naître l’estime et l’amitié face à l’énigme de la vie et de la mort. La santé psychique d’une société se dégrade lorsque lui sont retirées les espérances qui fondent ses raisons de vivre. C’est dans cette impasse que s’est engagée la France et il est temps d’en sortir. Ce sera en témoignant d’une estime sincère pour la foi et l’espérance des citoyens, qu’elle verra la fraternité fortifier son unité.


Père Laurent Stalla-Bourdillon

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